Faire
passer cet appel à la révolution demande un prosélytisme
énorme ...
Ca avance plus vite qu'on ne pense. Parce que quand les gens
sont dans la misère, exclus, frustrés, humiliés,
ils réfléchissent. C'est un terrain fertile à
la conscience. Les choses avancent naturellement. Notre but,
c'est de faire comprendre à quelqu'un, qu'il soit au
fin fond du ghetto à Kingston ou dans sa banlieue, qu'il
est le lui-même un élément important de
la lutte. Il faut redonner à chacun sa dignité
d'être humain, et lui insuffler la force de prendre sa
destinée en main. Il y a des milliers des gens qui attendent
ça, ce mouvement collectif de révolution.
Le
but est aussi de créer une rébellion en Afrique
contre les dictateurs ?
Certes
mais l'essentiel de la lutte doit se tenir dans les lieux de
la diaspora. Une Afrique forte ne passera que par une diaspora
africaine forte. Il s'agit de mettre la pression sur les gouvernements
des anciennes puissances coloniales par rapport aux dictateurs
en Afrique qu'ils
maintiennent
en place. Il faut les forcer à les faire partir. Quand
les dictateurs sauteront et que les Africains mettront en
place des frontières et des vrais leaders qu'ils se
sont choisis, les choses avanceront naturellement. Regardez
le cas de la France : elle a instauré depuis des décennies,
un "cordon de sécurité" qui part du
Gabon, passe par le Congo, l'Afrique centrale, le Cameroun,
et le Togo jusqu'en Guinée. Dans ces pays, il n'y a
que des dictateurs installés pour maintenir la zone
d'influence française ! Ces gens ne sont pas aimés
par le peuple, ils mènent depuis 30 ans des dictatures
sanguinaires, font assassiner qui ils veulent en France et
à l'étranger. Les Africains Français
doivent poser des questions aux autorités françaises.
Les Africains Américains et les Africains Britanniques
doivent faire de même avec leurs gouvernements respectifs
: exiger un droit de regard sur la politique de leur pays
en Afrique. Ainsi, un souffle révolutionnaire balaiera
les trois continents, l'Afrique, l'Amérique, l'Europe.
C'est
à une révolution non-violente que vous en appelez
?
Ca dépendra de l'ennemi qu'on aura en face de nous.
Il faut que ce système cesse, quels que soient les
moyens nécessaires. L'occident s'est habitué
à notre souffrance à un point tel que ça
en devient insultant. Je dis :attention à la violence
d'un peuple maintenu dans la frustration pendant 5 siècles.
Appelez-vous
à un retour à la terre mère ?
Ce n'est pas nécessaire pour se battre. Aujourd'hui,
la conscience africaine circule et tu peux trouver une
Afrique consciente partout à travers le monde.
On en revient toujours à l'individu : c'est chacun
qui doit se libérer dans sa tête pour que,
collectivement, on avance.
Vous-même,
vous auriez pu, avec les études supérieures
que vous avez faites, accéder à une très
bonne profession et a un statut social confortable.
Vous heurtez-vous à l'incompréhension
de certaines personnes qui vous disent : mais pourquoi
se lancer là-dedans ?
Oui bien sûr, on me dit que j'aurais pu rester
tranquille en gagnant bien ma vie ! Tout le monde est
victime de son occidentalisation et de l'école
coloniale, même si on l'a connu dans une forme
moins violente que nos parents. On nous a appris à
être simplement des administrateurs coloniaux
et à se contenter des miettes, les miettes étant
les plus consistantes pour certains que pour d'autres.
Moi, j'ai voulu rompre avec tout ça, au prix
de beaucoup de sacrifices et d'incompréhensions.
Mais je suis moi-même l'héritier d'autres
lutteurs. Faut pas nous faire croire qu'il n'y a pas
eu de résistance et de combat de menés
! Sinon, aujourd'hui, je ne pourrais même pas
m'asseoir à une table avec un blanc. Ma décision
de m'engager est d'ailleurs due pour partie à
la claque reçue lors de l'assassinat de Thomas
Sankara. Le peuple africain a une expérience
de lutte. C'est un peuple qui a survécu aux pires
atrocités, les déportations, l'esclavage,
la colonisation, les guerres. Il en est ressorti fort,
psychologiquement, physiquement, intellectuellement.
Aujourd'hui, il vit et avance, devient même conquérant.
Et ça fait peur. Je le comprends. Mais la conquête
est l'avenir de l'Afrique : elle va reconquérir
ses enfants et les terres que ses ancêtres ont
arrosé de sang. Nos sacrifices ne seront jamais
vains.
Votre
démarche est-elle communautariste ?
Non, elle est une démarche de survie, ancrée
dans la conscience et tournée vers l'avenir :
visionnaire.
Ne
craignez-vous pas de diaboliser l'occident en étant
mal compris des gens qui maîtrisent moins bien
que vous les ressorts de l'histoire, et sont donc plus
susceptibles de faire des amalgames ?
On
se bat contre un système, pas contre une couleur
de peau. Même si je mefais tabasser par un policier
juste parce que je suis noir, je suis clairvoyant. Et
je dis que dans ce système d'oppression, le noir
a
une grande responsabilité, il ne faut jamais
l'oublier. Les dictateurs en Afrique par exemple,
je ne daigne même pas les qualifier d'Africains.
Comment avez-vous réussi
à réunir autant d'artistes sur ce
projet ?
Effectivement
le projet est révolutionnaire par le seul
fait qu'on ait jamais vu d'album réunissant
des enfants de toute la diaspora. Le projet Djoloff
portait déjà en germe les idées
développées sur cette compilation.
Ca
a été pour moi une bonne carte de
visite, puisque la diaspora avait accueilli cet
album avec l'honneur qu'il méritait. "African
Consciences" rassemble des artistes qui se
battent pour ces idées. C'est justement leur
"fight" qui m'a fait aller vers eux. Nous
réunir ne nous donne que plus de force. Les
artistes ont entre 21 et 34 ans, c'est une génération-charnière
avide de combats.
Comment
s'est passée votre collaboration ?
Les
artistes étaient invités à
produire une chanson originale autour du thème
de la conscience africaine à partir d'une
carte représentant le commerce triangulaire,
et d'un instrumental fait par Sly Dunbar, Earl
'China' Smith et Donald Denis sous la houlette
de Philips 'Fattis' Burrell (Xterminator). Un
producteur et des musiciens expérimentés
et visionnaires nous ont donné un instrumental
à la croisé des trois continents
: l'inspiration africaine, le côté
moderne de l'Europe, et la vibe hip-hop reggae
de l'Amérique. Fattis a tout de suite accepté
le projet, fraternellement. Sa démarche
a été simplement africaine.
C'est
à dire ?
Dans
l'hospitalité, dans l'accueil qu'il nous
a réservé en Jamaïque, dans
la vibe ... Je ne me suis pas senti dépaysé
là-bas, à part la langue. C'est
aussi mon voyage là-bas qui m'a ouvert
les yeux. On traversait des villages, et la réaction
des gens à notre passage était la
même que celle que je voyais en Afrique
quand je traversais des villages pour aller rendre
visite à ma grand-mère. Les mamans
se pressaient pareillement autour des voitures
pour nous proposer de la nourriture. Et morphologiquement,
j'ai reçu un choc émotionnel très
intense. Je reconnaissais les gens dans leurs
ethnies, le Sérère, le Peul ...
C'était à la fois troublant et magnifique.
Constater qu'après 500 ans, l'Afrique ait
survécu ainsi, c'était humainement
très fort.
C'est à un retour à un Eden
africain que vous appelez finalement ?
Non,
un retour aux sources de l'humain. Et forcément ce
sera universel. Les valeurs africaines sont les valeurs fondamentales
de l'humanité, que l'Occident, dans son égocentrisme,
a perdues. Ce projet est aussi une manière de tendre
la main à l'humanité contre une civilisation
occidentale qui va s'écrouler. L'Afrique est la solution.
Une nouvelle et grande civilisation universelle africaine
va naître, où l'humanité entière
viendra se ressourcer, réapprendre les valeurs de paix,
réapprendre les bases fondamentales de la famille,
à traiter les personnes âgées avec respect
etc ... Ce projet ne fait qu'accompagner humblement ce mouvement
naturel, en s'adressant à toutes les personnes qui
ont l'Afrique dans leur cur. Il faut aller au-delà
de nos frustrations et ne pas se tromper de cible : un guerrier
doit être clairvoyant, c'est un devoir.
MBEGANE
NDOUR par Katell Pouliquen
AFRICAN
CONSCIENCES sort le 25 mars en afrique, en Europe et aux
Etats Unis.
Concerts à venir : voir sur REGGAECONCERTS.net