Développé
au cours de l'année 2002, le projet AFRICAN
CONSCIENCES est pour le moins ambitieux et original.
Loin des multiples compilations sans consistance qui foisonnent
ces derniers mois, ce projet est totalement réfléchi
;tant d'un point de vue artistique, que politique, sociologique,
ou même philosophique. African Consciences s'entoure d'un
véritable projet, d'objectifs, et se place résolument
du côté de l'action plutôt que de celui de
l'exposition.
C'est Mbegane Ndour, membre
du groupe Djoloff qui est l'instigateur de ce projet qui réunit
des artistes africains de 3 continents : Dead Prez, Suns
of Light, Anthony B, Sizzla, Obia,
Ty, Bantu, Daddy Mory, La rumeur,
Amenophis, Mbegane Ndour, Tiken Jah Fakoli.
L'album African Consciences (Emma/ULM)
n'est pas encore sorti, mais devrait réellement être
un évènement majeur de l'année
2003.
Ce la faisait longtemps que nous attendions des projets de cette
envergure, avec un message, un espoir, une force.
Pour en savoir plus sur African Consciences : l'idée,
le développement, les objectifs ... Avant sa sortie internationale
le 25 mars, nous vous proposons sans plus attendre de découvrir
l'interview de Mbegane Ndour,
par Katell Pouliquen.
Pourquoi
employez-vous le mot conscience au pluriel dans le titre
du projet "African Consciences" ?
Parce
que la conscience africaine est plurielle dans la mesure
où elle naît de plusieurs sources et qu'elle
prend des expressions diverses selon les gens. L'expérience,
l'origine, en un mot l'histoire de chaque individu, détermine
son niveau de conscience. Un Africain Américain
n'a pas la même conscience de son africanité
qu'un jeune Français d'origine africaine par exemple.
Quel
est le but de votre projet "African Consciences"
? Créer un lien autour d'une mémoire commune
?
L'important
pour moi, c'est la construction de ponts culturels.
Et la base, la motivation de ce projet, c'est l'attachement
à un continent, mais aussi l'expérience
d'un vécu lié intrinsèquement à
une couleur de peau. Il faut arrêter l'hypocrisie
: quand on est noir, on a forcément des combats
à mener. Ces combats là se trouvent être
les mêmes qu'on soit de l'Afrique ou de sa diaspora.
L'Afrique n'est pas seulement en Afrique mais partout
où ses enfants ont été amenés
de gré ou de force. "African Consciences"
défend une conscience historique et une vision
pour le futur.
Pourquoi
le mot noir n'apparaît jamais dans la présentation
du projet ?
Est-ce
que la couleur noire fait l'Africain ? A cette question,
je répondrais : n'est-ce pas plutôt la
recherche personnelle de ses origines, de son histoire,
de sa culture et la compréhension du système
d'exploitation qu'on subit, qui font de nous des Africains
? Je trouve dommage de limiter cette identité
à une histoire de couleur de peau. Aujourd'hui
il y a même des gens qui ne sont pas noirs et
qui ont une approche plus poussée que certains
noirs de ce qu'est la conscience africaine.
Comment
allez-vous réussir à toucher tous les
Africains et ceux de la diaspora, y compris par exemple
certains intellectuels pas forcément sensibles
à cette cause ?
Le but de ce projet n'est pas de toucher tout le monde.
On a l'ambition de poser des questions, de semer une
graine de conscience, mais cette graine ne peut être
semée qu'en terrain fertile. On s'adresse à
des gens qui ont envie de se poser des questions, et
on est juste là pour éclairer certains
points. Je ne crois pas en un message salvateur qui
libèrerait les consciences d'un coup de baguette
magique. Ce serait utopique et présomptueux.
De
quelle révolte est né ce projet ?
Nous avons subi trop d'humiliations, et elles se
perpétuent scandaleusement. Un seul exemple
: quelle est l'élite africaine qui nous représente
aujourd'hui ? Est-ce qu'elle est dans l'intérêt
de l'Afrique, ou dans celui du système qui
nous oppresse ? Je réponds que les leaders
noirs n'ont pas été choisis par nous,
mais par un système pervers, à la
fois médiatique, politique et économique,
qui, pour tuer l'ambition, la valeur et la dignité
d'un peuple, lui sert les leaders les plus médiocres.
Regardez les dictateurs en Afrique : ce sont des
gens qui n'ont reçu aucune formation, des
cancres. De même, aujourd'hui, quand on allume
la télé, qui tient le discours pour
nous ? Des médiocres, que se soit le rappeur
qui ne peut pas aligner 3 mots ou le sportif érigé
abusivement en héros pour toute une jeunesse,
alors qu'il existe des gens hyper brillants dans
tous les domaines, qui seraient réellement
légitimes pour nous représenter. Ce
système est la base de l'oppression et de
la déchéance de l'Afrique et de sa
diaspora. Il se perpétue depuis l'esclavage
et la colonisation, quand les colons ont choisi
les Africains les plus mauvais comme meneurs, et
les ont armés pour les manipuler.
Aujourd'hui se sont des Etats et des groupes financiers
qui sont à la tête de ce système.
Est-ce que l'humanité devra supporter longtemps
ces millions de morts en Afrique juste pour quelques
barils de pétrole et quelques mines de diamants
? Est-ce que l'Afrique devra supporter encore longtemps
que son peuple soit avili, que ses matières
premières soient exploitées gratuitement,
juste pour ne pas troubler un ordre économique
mondial confortable pour certains ? Est-ce que des
millions de gens exploités est le prix à
payer pour le confort de quelques occidentaux ?
Ceci dépasse même la problématique
africaine : rompre le système d'oppression
dont fait partie l'Afrique, c'est rompre le mode
de fonctionnement même de cette civilisation
occidentale.
Quelle
réaction voulez vous susciter chez ceux qui vont recevoir
votre message ?
Avec "African Consciences", nous voulons dire aux
nôtres que c'est à nous, hommes noirs, de faire
le premier pas dans la lutte pour la libération. Nous
allons nous libérer nous-mêmes, et l'occident n'aura
qu'à le constater. Nul ne peut prévoir comment
ce mouvement de libération va prendre forme, soit dans
la conscience soit dans l'inconscience Certains prendront ce
message avec sentimentalisme, ils percevront que ce projet est
lié à une histoire d'amour, de dignité
et d'honneur par rapport à l'Afrique. Et d'autres iront
beaucoup plus loin, ils verront que le projet pose aussi des
questions à l'humanité toute entière. Je
veux que les gens entendent que quand on parle d'Afrique, on
parle de berceau de l'humanité; que toute la civilisation
est partie de l'Egypte donc du continent africain.
Quelle
est l'étape qui suit cette prise de conscience ? C'est la révolution. Il n'y a pas d'autre issue.
La révolution dans les mentalités passe par
des groupes de pression installés en Afrique et dans
les lieux qui se sont nourris de sa souffrance : Europe, France,
Etats Unis, Antilles ... Ce projet, on l'espère, va
être un détonateur.
Aujourd'hui, l'Afrique est partout, elle grandit partout.
Les gens se forment, une élite encore bien cachée,
qu'on ne veut pas montrer, grandit. En un sens, ça
nous arrange, qu'on la cache ! Dans l'ombre, on continue à
se former, à avancer. Et quand les leaders occidentaux
comprendront, ce sera trop tard.
Faire
passer cet appel à la révolution demande un
prosélytisme énorme ...