Le
mois denier, nous avons eu le privilège de rencontrer
le Godfather DADDY U ROY en
personne.
Si on le surnomme ainsi en Jamaïque, c'est comme vous le savez
certainement, parce qu'il a été le premier à
imposer le DJ style, mais aussi parce que c'est un homme droit,
respecté par tout le monde.
U Roy a rencontré et travaillé avec les plus grands
artistes du Reggae, et il a largement contribué à
son histoire et à son développement.
Comme chacun le sait, c'est dans les sounds system qu'il a commencé,
et qu'il développera le DJ style, que lui aura inspiré
Count Machuki. L'Originator (tel qu'on l'appelle aussi)
a joué chez Coxsone, chez Prince Buster, et
fut aussi la vedette du Home Town Hi Fi de King Tubby avec
qui il développera le style DJ moderne.
Il commence à enregistrer chez Duke Reid, et son premier
disque "Wake the Town and Tell
the People" le place de suite en avant de la
scène locale. Il se met alors à travailler avec les
plus grands producteurs, tels Lee Perry, Keith Hudson,
Bunny Lee, Lloyd Charmers ...
A l'époque,
son impact, et celui des autres DJs qui le suivent (Dennis Alcapone...)
est tel que les Jamaïcains ne veulent plus entendre que des
DJs à la radio. Au milieu des années 1970, le style
est au top, et de nombreuses autres stars apparaissent (notamment
Big Youth), faisant de l'ombre à l'Originator qui
à l'époque (1975) prépare une série
d'album pour Prince Tony Robinson, que distribuera Virgin
Front Line et que vous connaissez bien.
C'est aussi à cette période qu'il créera son
Sound system : le King Stur Gav,
accompagné de Ranking Joe et du selecteur Jah Screw
, qui seront remplacés par Charlie Chaplin, Josey
Wales puis Inspector willie, après 1980. Durant
les années 80's , U Roy ne s'arrête pas d'enregistrer
(2 albums avec Prince Jazzbo et Tappa Zukie) , mais
c'est dans les années 90, qu'il connaît sa renaissance,
avec son succès en Europe.
Après l'Angleterre et une collaboration avec Mad Professor, c'est en France, chez Tabou1 qu'il
jette son dévolu, pour produire deux de ses meilleurs albums,
Serious Matter et Now.
Wake the Town and Tell the People !
Inteview exclusive
avec Daddy U ROY.
JAHMUSIK : Tu as sorti cette année NOW,
ton deuxième album avec le label français Tabou 1
; comment s'est passé votre rencontre ?
UROY: C'est
Pierre Simonin, un de mes amis, qui est aussi en quelque sorte mon
manager ici, qui nous a présenté Guillaumeet moi. (Guillaume Bougard,
patron de Tabou1)
Comment s'est passé
la production de cet album ?
On
voulait refaire quelque chose ensemble, mais différemment
de la première fois, du coup on a fait venir des artistes
différents, comme Strange Jah Cole, Rod Taylor, Anthony B,
Brinsley, de Aswad.
C'est toi qui as choisit
les featuring pour l'album ?
Non,
c'est le producteur de Tabou 1 qui s'est occupé de ça,
et je lui fais entièrement confiance. Je pense qu'il a vraiment
eu une bonne idée, parce que je peux travailler avec tout
le monde. Je suis ouvert à tout, j'ai une bonne vibes avec
tout le monde. Enfin, tout dépend de ce qu'on fait.
Est-ce que tu connaissais
tous ces artistes avant ?
Oui,
bien sûr, tous ; mais tu sais, maintenant la musique comment
ça se fait ! ! ! En fait, ils ont posé leurs voix
en premier sur les bandes, et ensuite j'ai fait les miennes, après
on mixe tout.
Et pourquoi y a t-il deux disques ?
C'est
encore une idée de Guillaume, il a voulu faire ça
à l'ancienne, comme s'il y avait une face avec les chanteurs,
et une face avec les DJs.
Mais, est-ce que tu composes aussi ?
Oui
bien sur, j'ai mes propres idées, d'ailleurs vous verrez
bientôt, il y aura un nouveau CD qui va sortri. Oui, bien
sûr ! on compose, même si parfois ce qu'on fait c'est
plus pour nous que pour le public.
Tu es considéré
comme l " originator ", le premier DJ. Est-ce que
tu penses, comme certains chanteurs l'affirment, qu'il y a, ou a
eu, une guerre entre DJs et chanteurs ?
Tu sais ... Pour moi, tout ça ce n'est que de la jalousie,
parce qu'à mon avis, aucun DJ n'a jamais voulu prendre la
place d'un chanteur. J'ai toujours fait mes affaires tranquille,
tu comprends ? Tant qu'ils seront là, je survivrais, et je
ferais ce que je peux pour ma survie ; pour moi il n'y a jamais
eu de problème.
Je ne pense pas que les chanteurs qui disent ça, disent vrai,
personnellement en tous cas, je n'ai jamais vécu ça
comme une guerre. Et puis, j'adore les chanteurs, ils m'ont toujours
beaucoup apporté et inspiré. Alors, comment veux-tu
que je me batte contre quelque chose qui me fait vivre et m'enseigne,
non... c'est ridicule.
Tu as collaboré
avec de nombreux artistes tout au long de ta carrière, quels
sont tes meilleurs souvenirs ?
J'ai
beaucoup aimé mes collaborations avec les Français,
Pierpoljak et Manu de Baobab, ça représentait
quelque chose de vraiment différent. Ce genre d'expérience
ça me change réellement, c'est quelque chose que je
n'avais jamais fait. Alors, pour moi, ce mélange d'anglais
et de français... j 'aime ça, respect.
Est-ce qu'il y a un
artiste avec qui tu regrettes de ne pas avoir joué ?
Non,
pas vraiment... puis, tu sais, pour moi, parler de tout ça,
c'est comme si je te disais qui est honnête, et qui ne l'est
pas. Non je n'ai aucun regret.
Tu es quelqu'un de
très consensuel, tu ne donnes jamais de jugements sur rien
ni personne ; alors comment ça se passe quand on te demande
un conseil ?
Si
quelqu'un me demande quelque chose sur un sujet qui ne me concerne
pas, alors je n'ai pas à me sentir concerné. Il y
a aussi des sujets par rapport auxquels je ne m'implique pas, comme
la politique.
Je préfère m'intégrer dans tous les milieux,
avec différents types de gens.
Donc, peux-tu me dire,
s'il y a un ou une artiste avec qui tu aimerais travailler ?
Bon
! En fait j'aimerais vraiment enregistrer avec Witney
Houston, c'est une de mes chanteuses préférées.
Ouais ! si je pouvais, ça me dirait bien ; mais ce n'est
peut être encore pas le moment... puis, en fait, je ne suis
pas le genre de personne à aller voir quelqu'un et lui dire
" Salut Witney.... ", je ne peux pas faire ça.
Mais c'est clair, si l'occasion se présente, je ne dirais
pas non.
Dans une précédente interview, Max Romeo nous
disait qu'en Jamaïque il était quasiment impossible
d'entendre un disque passer en radio, sans payer pour. Il rajoutait
aussi que bien souvent l'industrie de la musique jamaïcaine
était corrompue par l'argent et la drogue.
Non,
je ne pense pas. Bon je vais te dire toute la vérité
; quand un promoteur ou un producteur sort un disque, il lui
faut nécessairement pas mal d'argent pour faire une
bonne promotion, et ça c'est partout pareil dans le
monde. Ici aussi en France ; Tabou 1 a mis pas mal d'argent
pour la promotion de l'album, et je ne pense pas pour autant
qu'il soit trafiquant de drogue.
-Oui, c'est clair
! Mais en Jamaïque...
Non,
en Jamaïque ça se passe de la même manière.
Il n'y a pas que des dealers là bas, mais c'est vrai
que les choses ne fonctionnent pas toujours comme ici ; les
gens ont leurs ressources propres, ils font leurs affaires.
Quand j'ai enregistré pour Duke Reid, il a dépensé
beaucoup d'argent auprès des stations de radio, et
c'est certain que souvent les arrangements se faisaient directement
avec le Disc Jockey, mais je te garantis qu'il n'avait pas
besoin de vendre de la drogue pour financer ça, il
avait sa boutique d'alcool, son sound system ... il avait
énormément de biens, et ce genre de personne
ne travail pas avec la drogue.
(Oui c'est sur Godfather, mais on est quand même ok
pour les radios).
Est-ce que tu peux maintenant nous parler de ton sound system, le
STUR GAV ?
Yea
! C'est un vieux Sound. Maintenant, je ne joue plus trop en Jamaïque,
mais de temps en temps je me produis aux USA, Miami, New York, Washington,
la plupart du temps, quand je joue, c'est là bas.
L'économie jamaïcaine n'est pas vraiment bonne, il y
a beaucoup de pauvreté, donc ils n'ont pas vraiment d'argent
à investir. Mais mon Sound se porte bien, il est seulement
un peu moins présent. C'est quelque chose que je fais plus
calmement, le plus tranquille possible, jours après jours.
-Est-ce qu'on te verra
un jour en France avec ton Sound ?
Beaucoup
de gens me demandent ça. Oui, j'aimerais beaucoup et je le
ferais quand le moment sera venu. Tant que je suis en vie, tout
est possible.
Est-ce qu'il y a du
renouveau dans Stur Garv ? Y a t-il de jeunes DJs ?
Yea,
il y a plein de jeunes. Un de mes protégés s'appelle
Likle Twitch, un autre General.
Beaucoup passent par-là et prennent le micro, c'est comme
ça que ça se passe en Jamaïque, toujours du renouveau
; il s'agit juste de leur donner une chance, de bien les conseiller,
là est la réalité.
Penses-tu que le reggae
ait accompli sa mission ?
Pas
encore... pas encore, mais je crois qu'il va y arriver. Peut être
pas tout de suite, parce qu'il y a encore beaucoup de choses à
faire dans la musique ; mais je suis certain que ça marchera,
parce qu'aujourd'hui le reggae est aux 4 coins de la planète.
En France, en Allemagne, au Japon, en Suisse, en Suède ...
partout !
Cette musique est en train de s'affirmer. De plus en plus de jeunes
musiciens décident de s'y mettre. Tant qu'ils seront soutenus,
et qu'ils auront une bonne promo, la musique avancera.
Aujourd'hui, elle n'a pas encore atteint ses objectifs, ça
prend beaucoup de temps parce qu'il y a beaucoup de combats à
mener, et aussi beaucoup de gens qui se battent, mais je suis sûr
que ça passera. Time Will Tell.
Quel ressentiment as-tu
pour l'Afrique, pour tes racines africaines ?
Je
suis très attaché à ça du fait que mes
4 grands-parents venaient d'Afrique, donc je connais mes racines.
Mais je vis ça très naturellement. Pour moi, tous
les noirs viennent d'Afrique, peu importe dans quelle partie du
monde ils soient. Ma descendance vient aussi d'Afrique, et je le
sais, alors je ne dirais jamais que je viens d'un autre pays, d'une
autre planète. Je connais mes racines, et j'en suis très
fier.
Il y a des noirs partout dans le monde, alors peu importe l'endroit
où ils soient sur cette terre.
Je crois fermement en cette cause, c'est ce qu'on m'a appris. Tout
jeune, j'entendais mes parents chanter " Take us back to Africa
", " By the Rivers of Babylon "... beaucoup d'entre
nous ont été vendu comme esclaves, mais je suis heureux
d'être un de ces esclaves qui sait et a compris ce qu'il se
passe.
J'ai pris le parti de respecter chaque nation, chaque individu ;
tout le monde ne peut pas avoir la même couleur, il y a des
blancs, des noirs, des chinois ... nous sommes tous des êtres
humains, et avant tout, nous devons survivre.
Le monde n'a pas été fait pour moi seul, ni pour vous
seul, il est pour nous tous. Tous les blancs ne sont pas responsables
de ce qui est arrivé au peuple black, je ne peux pas me lever
et dire que tous les blancs sont mauvais, ni les musulmans, les
Iraniens, les Afghans ... je ne les connais pas. Ce n'est pas à
moi de juger, je reste à ma place et je respecte tout le
monde.
Heureusement d'ailleurs, parce que si je pensais ça, je ne
pourrais pas venir en France.
Qu'est-ce que tu fais de tes temps libres ?
Je
joue aux dominos, j'aime aussi beaucoup aller voir les courses ;
sinon je regarde la TV de temps en temps, et j'écoute de
la musique. J'écoute beaucoup de chanteurs de tous styles,
des jeunes, des vieux, des Français, des Japonais. Ouais
! Parce que tu sais, il y a des sacrés DJ au Japon.
Est-ce qu'il y a des
musiques que tu n'écoutes pas ?
Oh
oui ! Pas mal même. Je n'écoute pas de Heavy métal,
même si parmi eux il y a de bons chanteurs, comme Aerosmith,
John Bonjovi ... Hey ! Regarde, j'écoute de tout !
Ce que je n'aime pas, je ne l'écoute même pas ; par
contre quand j'aime, je peux acheter un CD juste pour un titre,
puis, je l'écoute jusqu'à ce que je m'en lasse.
Fumes-tu toujours ?
Plus
trop, parce que maintenant je suis diabétique. J'ai beaucoup
fumé avant, maintenant c'est occasionnel, je me contente
d'un petit spliff dans la journée quand je suis à
la maison et que je n'ai rein à faire. Quand je suis en tournée,
je dois rester concentré ; je ne fume pas.
C'est la seule chose que je fasse, je ne fume pas de cigarette,
je ne fume rien d'autre que de l'herbe, pour mois c'est une médecine,
je ne considère pas du tout ça comme une drogue.
Tu as des enfants ?
J'ai
10 enfants, je les ai tous eus quand j'étais très
jeune. J'ai commencé à en avoir à 19 ans, alors
la plupart ont votre âge. Ma plus jeune fille a 5 ans, tous
mes autres fils et filles ont 22, 24, 27, 30...
Je les aime tous beaucoup, ils m'amusent tellement ; à la
maison on rigole beaucoup.
Où trouves-tu
ton énergie à ton âge ?
J'ai
fêté mon anniversaire il y a deux semaines, et j'ai
60 ans maintenant, ok ?
Je suis un vieil homme, même si je me sens encore capable
de te stopper. J'ai suffisamment d'énergie pour faire tout
ce que je veux faire, heureusement, parce que la vie c'est ce que
j'aime par-dessus tout ; il n'y a rien de plus grand à mes
yeux, j'aime vivre. Alors, tant que Jah dira que je pourrais, je
ne m'arrêterais pas.
Par contre aujourd'hui je ne suis plus un jeune homme, alors je
dois prendre les choses le plus paisiblement possible.
Montpellier
novembre 2001 - DADDY UROY / Julian & Irène pour Jahmusik,
trad. redac AlexRuben - Big Up à Tweed.