Comme
à chaque édition, nous rendons hommage à
un artiste qui a fortement marqué le reggae. En fait, cette
fois-ci, elles sont 3 et même s'ils elles sont toutes exceptionnelles,
il n'en demeure qu'elle n'en font qu'un : les
I -THREES, Rita Marley, Judy Mowatt,
et Marcia Griffiths.
A la fin de l'année 1974, les relations entre les Wailers
ne sont pas excellentes ; Peter Tosh ne cesse de s'embrouiller
avec Chris Blackwell le patron d'Island, qu'il soupçonne
de vouloir les évincer lui et Bunny, qui de son
côté supporte de plus en plus mal les aléas
du succès (tournées, avion, nourriture) ...
BOB
MARLEY & THE WAILERS, EARLY DAYS
... C'est à
cette époque, que l'idée d'embaucher RITA, la femme
de Bob, et ses copines, surgit.
Pour être un peu plus exact, c'est à Cardiff Crescent,
chez LEE PERRY, que Bob désorienté par la
situation du groupe, va se ressourcer, aux côtés
du producteur génial et de sa femme Pauline.
Durant une interview avec Chris Salewicz (Reggae
Explosion, Seuil, 2001), Paulin Morrison se souvient
de ces instants, et se serait elle d'ailleurs, qui aurait suggéré
l'idée des I -Threes à Marley : " On parlait, on parlait, et Bob a dit : "Bwoi, mi
not know what fe do !" . Je lui ai dit qu'en Amérique
les artistes travaillaient tous avec un groupe de gens très
identifiables ;et que s'il avait 3 filles avec lui, il collerait
plus à la façon dont les groupes se produisent à
l'étranger. Bob a ri et a demandé : "Quelles
3 filles ?" J'ai répondu : " Il y a Marcia, Griffiths,
Judy Mowatt et il y a Rita, ta femme " ; il a dit : "
Ces filles là, hein ? ", et moi : " bien sûr,
parce que se sont les 3 seules filles qui pourraient accompagner
quelqu'un comme toi. ", il a dit : " OK, je vais voir
si ça marche. "
MARCIA
GRIFFITHS est né à Kingston en 1954 .
En 1974, elle est déjà une star, et est considérée
comme la diva du reggae, depuis ses multiples Hits durant les années
60.
C'est à l'âge de 10 ans qu'elle est repérée
par le groupe de ska Blues Busters ; rapidement c'est chez
Coxsone qui signe un contrat auprès de son père,
qu'elle pose son dévolu. Marcia connaît un franc succès
dès ses débuts, sur les riddims ska - rock steady
et reggae, particulièrement aux côtés Bob
Andy avec qui elle aura une longue
relation,et surtout avec qui elle forme un des duos les plus célèbres
de l'époque. Bob & Marcia sont des stars en Jamaïque,
ils connaissent même un certain succès international
en 1969, avec une reprise de Nina Simone, " Young, Gifted
and Black ".
Malgré le succès et la reconnaissance qu'elle obtiendra
durant ses 15 premières années de carrière,
Marcia Griffiths ne gagnera pourtant jamais autant d'argent que
par la suite avec les
I -Threes.
JUDY
MOWATT, July Ann pour les intimes, est née à
Kingston en 1952.
Formée à la chanson dès son plus jeune âge,
c'est pourtant dans une formation de danseuse qu'elle fait ses débuts,
et ce n'est qu'en 1967 qu'elle rejoint les Gaylettes, trio
de chanteuses qui durera quelques années, mais ne connaîtra
pas de réel succès.
A la fin des années 60, après le splitte de la formation,
Judy décide de se lancer dans une carrière de chanteuse
solo.
Le
succès n'étant pas vraiment au rendez-vous, elle emprunte
différents pseudonymes, et petit à petit, arrive à
se poser au sein de cette génération d'artistes solo,
comme Delroy Wilson, Ken Parker ou même Peter Tosh, qui enregistreront
chez JOE GIBBS et BUNNY LEE, quelques-uns uns des
Tunes foundations du reggae music.
ALVARITA ANDERSON est née à Kingston ;
C'est à Studio 1 qu'elle rencontre les terribles Wailers
.
A cette époque le trio Bob, Peter & Bunny est déjà
très célèbre en Jamaïque ; Rita de son
côté, est membre d'un groupe de filles, les Soulettes,
aux côtés de sa cousine Constantine Walker et d'une
amie Marlene Gifford.
A la suite d'une audition à Studio 1, elles sont confiées
à Bob afin qu'il les manage et les forme.
Les Soulettes ne dureront pas très longtemps, et le travail
se transformera au fil des mois en complicité, aussi, en
1968, Bob et Rita finissent par se marier. Elle est à
présent toujours très proche des Wailers, qu'elle
supplée parfois ; elle participe aussi à la création
du label Wail'N Soul'M.
Au début des années 70, Rita est surtout connue pour
être la femme de Bob. Même si elle ne fait plus officiellement
partie d'une formation, elle continue de chanter, de plus en plus
d'ailleurs, avec son amie Judy Mowatt, bien déterminée
à percer et à devenir une artiste majeure aux côtés
de Marcia Griffiths.
En ce début des années 70, Marcia Griffiths
est résolument la grande dame de la chanson jamaïcaine,
et c'est autour d'elle que les I -Threes vont se former.
Les trois femmes se connaissent depuis un moment déjà,
elles se croisent souvent dans les studios d'enregistrement
de Kingston. Un jour de 1974, Marcia Griffiths convie les
2 autres à l'accompagner sur scène, pour une
chanson au House of Chen, un club de New Kingston.
Judy et Rita ont bien travaillé le morceau, elles
sont calées ; c'est le grand soir. En une chanson,
une reprise des SUPREMES, " Remember me ",
leur avenir se joue, et le trio s'impose aux yeux de la
foule. La rumeur qu'un nouveau groupe de fille s'est formé
autour de Marcia Griffiths fait vite son chemin dans la
capitale, puis dans le pays, arrivant même jusqu'aux
oreilles de Bob Marley.
LES
I - THREES
Au début
de l'année 1974, les Wailers sont réduits
au strict minimum, Carly, Family Man, Bob,
et un jeune organiste, Bernard Harvey. Faute de 2/3
des voix, mais surtout de manageur, Bob préfère
annuler les tournées, même si la possibilité
de travailler avec les futures I -Threes a déjà
fait son bout de chemin. Il décide alors de se consacrer
à son nouvel opus pour Island, dans une toute nouvelle
formule.
Les guitares seront enregistrées plus tard à
Londres par Al Anderson, Lee Jaffe est convoqué pour
poser son harmonica et les I -Three sont appelées
en renfort pour les churs.
Présentes à la base pour une seule chanson,
elles enregistreront finalement entièrement NATTY
DREAD.
Fait historique, cet album est le premier à sortir
sous le nom BOB MARLEY & THE WAILERS, et même
si au début il choque les purs et durs, il obtient
un énorme succès, se vendant bien plus que
les précédents.
Les sessions de Natty Dread sont d'ailleurs à plusieurs
titres historiques, on le découvre en lisant la biographie
de Bob Marley par Stephen Davis, quand Judy Mowatt raconte
:
" Pendant que nous étions au studio pour les
sessions de Natty Dread , Brother Bunny et Brother Peter
étaient là, pas pour travailler mais ils étaient
là quand même. On cherchait un nom, et quelqu'un
dit : "We Three ?" Brother Bunny a dit : "
Non, appelez-vous Chaleur, Air ou Eau. " Mais ça
sonnait bizarre, on a refusé. On s'est finalement
décidé pour I-Three, nous Trois. L'oeil dans
l'arbre (eye t'ree), c'est Son Impérial Majesté
Haile Selassie I, cet oeil lointain (far eye) qui vous regarde
agir. Quand on croit que personne ne nous regarde, il y
a toujours cet oeil lointain. C'est vraiment un nom mystique.
"
Les filles n'accompagneront pourtant pas Bob tout de suite sur scène.
En mai 1974, les trois Wailers (Peter, Bunny & Bob) se retrouvent
pour un mémorable concert en première partie de Marvin
Gaye, au Carib Theater de Kingston.
Par contre dès le début de l'année 1975 ils
sont officiellement séparés, et les filles de leur
côté sont parfaitement calées sur les compos
de l'album Natty Dread. Leur premier concert aura lieu au printemps,
en première partie des Jackson 5. " Le public
fut ravi par le spectacle des I -Threes en robes et turbans vert,
jaune et rouge, qui faisaient les churs à droite sur
la scène en balançant les bras d'un même mouvement.
Rita était au centre, dirigeant l'harmonie de sa voix de
soprano. A sa droite se tenait Marcia Griffiths, femme imposante
à la lourde ossature (...) A gauche de Rita se tenait Judy
Mowatt, la chorégraphe des I-Threes (...) " (Bob
Marley, Stephen Davis, Points)
A cette époque, le nom de Bob Marley & the Wailers est
sur toutes les lèvres.
Island Life 1997:Comment se sont passés les premiers shows avec Bob
au début de l'année 75 ? Rita Marley : C'était
un nouveau groupe, un nouveau public ... un nouveau monde. On
a vécu ça jours après jours et très
sérieusement parce que Bob était un musicien vraiment
exigeant. Parfois on finissait de répéter juste
avant de monter sur scène ! On devait être certaines
qu'aucune fausse note ne ferait surface. C'était un peu
comme si on allait à l'université ! "
Island
Life :Quand t'es-tu aperçu que le
phénomène Bob Marley & The Wailers devenait
International ? Rita Marley : On savait
que quelque chose d'incroyable était en train de se passer.
Mais on a du se battre et résister pendant un moment .
Ca ne s'est pas fait en un jour. Il a fallut de la persévérance,
et aussi beaucoup de sacrifices. On a pris toutes ces choses comme
elles sont venues.
S'en suivent 6 années
de bons et loyaux services au sein du groupe. Elles vivront intégralement
l'histoire de Bob : les albums (live, Rastaman Vibration, Exodus,
Kaya, Babylon by Bus), les concerts (live London, One Love
Peace, Smile Jamaica, Zimbabwe...), la gloire, mais aussi le malheur
au travers de sa maladie.
Plus qu'un simple
ensemble de choriste, elles deviennent rapidement une référence
dans le genre et sont à de nombreuses reprises sollicitées
pour différents projets. Elles enregistrent entre autres
aux côtés de Peter Tosh, Bunny Wailer
... , mais aussi avec des artistes francophones comme Alpha
Blondy, ou notre Serge Gainsbourg national, avec qui
elles capturent les magnifiques " Aux armes etc... "
en 1979, et " Mauvaises nouvelles des étoiles " en
1981.
20 ans après
la mort de Bob Marley, les trois femmes sont toujours impliquées
dans le reggae, et perpétuent son héritage musical.
Toutes les trois ont déjà reçu de nombreuses
distinctions et ont été nominées aux Grammy
Award.
Si elles ont été grandioses avec les I-Threes, les
3 divas ont toujours mené parallèlement des carrières
solos :
Judy Mowatt est la première
à enregistrer sur le label TUFF GONG, et connaît
un franc succès en 1977 avec " Black Woman ",
puis en 1978 avec " Only a woman ".
Marcia
Griffiths, de son côté, enregistre 6 albums
(Caroussel, Naturally, Certified, Truly, Marcia Griffiths,
Dreamland). Au cours des années 90, elle trouve un
nouvel élan grâce aux productions de Donovan Germain,
elle est résolument la grande dame du reggae et est toujours
autant sollicitée pour sa voix majestueuse.
Rita, fortement attachée
à Bob et aux I -Threes, n'enregistre pas grand chose avant
la mort de son mari. Elle attend le milieu des années 80
pour se lancer dans une carrière solo, et se voit reconnu
comme chanteuse à part entière après son
hymne " One Draw " en 1987.
Jusqu'à présent elle a enregistré 4 albums
solos (Who feels it Knows it, Harambe, We must Carry on, Wailers
Family and Friends avec Judy, et From Kingston to Montego Bay
avec Shabba Ranks) et elle est en train de finaliser son dernier
opus entre New York, Kingston, Paris et le Ghana, où elle
vit depuis quelques temps maintenant. Engagée et passionnée,
Rita est aussi une femme d'affaire qui gère sans scrupule
l'héritage Marley.
Fiertés d'une
nation où les femmes ont fort à faire pour arriver
à un tel niveau de reconnaissance, elles font figure de
référence dans le reggae, mais aussi dans leurs
vies de femmes, et ont toujours su dignement perpétuer
l'héritage de Bob.
Au mois de janvier, elles donnaient un grand concert en Jamaïque,
aux côtés d'autres chanteuses jamaïcaines, et
selon nos sources, elles devraient faire une tournée en
Europe cet été, espérons qu'elles passeront
par chez nous !