Depuis
la création de JAHMUSIK.net, nous essayons de
commémorer la mémoire d'artistes qui ont
joué un rôle crucial dans l'évolution
du reggae music.
Jusqu'à présent, nous avions parlé
d'ingénieurs, de musiciens, de chanteurs, de
producteurs, mais pas encore de DJs !
Pourtant, vous n'êtes pas sans savoir l'importance
qu'ont eu les toasters, tant pour le développement
du reggae que pour celui du rap.
Apparu dans les années 50 avec Count Machuki,
le JIVE TALK a fait des émules et est progressivement
devenu un genre à part entière, avec ses
héros, ses histoires et ses légendes ...
C'est
l'histoire d'un des DJs les plus importants des années
70 que nous avons voulu vous conter. L'histoire d'un homme,
qui comme de nombreux artistes Jamaïcains, reste méconnu
et négligé. L'histoire d'un homme, qui malgré
son intelligence, son talent et son charisme, est mort anonymement
dans les rues de Spanish Town à la fin de l'année
1999 ; l'homme vient par le nom de I ROY.
ROY
SAMUEL REID C'est
en pleine guerre mondiale, le 28 juin 1942, que naît
dans la paroisse de St Thomas, à l'Est de la Jamaïque,
ROY SAMUEL REID.
Après avoir passé son enfance dans la ferme
familiale au milieu de ses 6 frères et surs,
à l'adolescence, il part pour la capitale Kingston
afin de rejoindre le DINTHILL Technical College.
Elève studieux, Roy poursuit ses études sans
embûches jusqu'à l'obtention de son diplôme
de comptable, métier qu'il exerce à partir
de 1966 au Jamaicain Department of Customs and Excise
(administration des impôts indirects).
A en croire son parcours, Roy Samuel Reid est bien loin du
monde de la musique ! Détrompez-vous ! Depuis son adolescence,
il voue une passion pour la musique locale, pour les disques,
pour les artistes, les sounds system et si son métier
de comptable lui permet de vivre, ce qui le fait vibrer c'est
bien la musique yardie.
D'ailleurs il faut savoir que pendant de nombreuses années
Roy porte une double casquette : comptable le jour, sélecteur,
animateur le soir et le weekend, près de Victoria Pier
à Kingston.
Dès sa première paye il investit dans une sono,
quelques disques et un micro pour monter son petit sound local,
c'est ainsi que naît le TURBO
SONIC sound. Très vite, Roy connaît
une certaine popularité dans son yard et il rejoint
le SOUL BUNNIES.
A cette époque, ce qu'il préfère c'est
être derrière les platines ; ils aiment tenir
les commandes du sound et de temps en temps il s'empare du
micro pour déverser quelques commentaires, souvent
satiriques ou humoristiques, comme le faisaient déjà
depuis quelques années les pionniers Count Machuki,
Sir Lord Comic, King Sporty ... suivis depuis peu par les
nouveaux phénomènes de l'île les DJs tels
UROY ou Denis Alcapone qui se sont entichés des riddims
ska, rock steady et du tout jeune reggae.
Le phénomène passionne Roy qui chaque jour s'entraîne
à peaufiner son style et ses lyrics qui feront de lui
quelques années plus tard "un des DJs les plus
intelligents" selon Harry Mudie.
LE
DJ STYLE C'est
dans les années 50 que les premiers animateurs s'emparent
pour la première fois du micro dans les sounds system.
Le premier d'ailleurs n'est autre que COUNT
MACHUKI, l'original Jive Talker, qui lança
la pratique qu'il avait entendu pratiquer sur les radios américaines.
Il s'agit alors à l'époque de divertir le public
entre les morceaux, de faire passer une petite touche d'humour,
de joie, à la manière des griots africains !
Puis, petit à petit, les DJs prennent une place de plus
en plus importante, s'impliquant toujours un peu plus dans le
choix de leurs lyrics, tantôt marrants, mais parfois aussi
revendicatifs ou dénonciateurs, c'est bientôt eux
qui font la différence entre les sounds.
La Jamaïque des années 50, 60 se passionne pour
ce phénomène ! N'oublions tout de même pas
qu'il n'y a pas la télévision à l'époque,
et que la radio reste encore le privilège de quelques
personnes. Le Sound est le premier véritable média
populaire de l'île.Démocratisé
depuis plus de 15 ans en Jamaïque, le Jive Talking
ou Deejaying n'a pas encore séduit les producteurs au
milieu des années 60.
Pourtant ces derniers s'ouvrent de plus en plus au son de la
rue. On remarque alors quelques apparitions de DJs comme Lord
Comics sur le ska "Great Wuga Wuga" ou
sur "Ska-ing West", ou encore Sticky
sur "Gun of Navaronne", mais c'est KING
STITT, l'apprenti de Machuki, aussi appelé
"The Ugly One" qui sera le premier DJs à graver
le style Jive sur vinyle à la fin des 60's, avec des
hits comme "Fire Corner" et "Lee Van
Cleef".
Lors du tournant de 1968, avec la naissance du reggae, et
les divers mouvements sociaux, le style va prendre un nouveau
virage avec l'apparition d'une nouvelle génération
de DJs : les toasters (qui vient de l'expression "porter
un toast").
En effet, quand UROY
est arrivé, un son nouveau est né "Wake
the Town and Tell the People".
C'est avec ces vibes que Roy Samuel Reid grandit dans le Kingston
des années 50, 60. Fan des DJs pionniers, il est aussi
très vite attiré par la nouvelle école
dont le style colle de plus en plus à la musique et
dont les lyrics sont souvent révolutionnaires.
En Jamaïque comme dans beaucoup d'endroit du monde en
ce début des années 70, la musique sert de revendicateur
social.
IROY
Vs UROY
Déjà
impliqué depuis plusieurs années dans
les sounds system, Roy Reid veut tenter le tout pour
le tout et il décide de s'investir de plus en
plus dans sa passion. C'est sur Spanish Town qu'il pose
alors son dévolu. On le voit alors graviter et
opérer dans la plupart des Sounds system du coin
: SON'S JUNIOR,
STEREO,
RUDDY'S SUPREME ...
Roy devient vite une vedette locale et se fait remarquer
par HARRY MUDIE,
un producteur qui apprécie particulièrement
ses lyrics. De cette rencontre naîtra une complicité
entre les deux hommes. C'est à partir de ce moment
que Roy Samuel Reid adopte le nom de IROY. Selon certaines
sources ça serait Mudie qui l'aurait appelé
ainsi, selon d'autres il s'agit d'un jeu d'esprit par
rapport à UROY, venu de Samuel lui-même
(entre le you et le I). Quoiqu'il
en soit le duo IRoy - Mudie compte bien s'attaquer à
la star du moment UROY.
HARRY MUDIE amène son protégé au
studio DYNAMICS Sound où ils enregistrent
ses 4 premiers tunes :
"Let
Me Tell You Boy", "The
Drifter" (feat Denis Walks), "Heart
Don't Leap" et "Musical
Pleasure", en réponse au premier
hit de UROY "Wake The Town".
Avec ces quatre enregistrements IROY connaît un énorme
succès, tant en Jamaïque qu'en Angleterre où
il s'apprête à partir pour une tournée avec
Mudie. Pourtant cette tournée ne verra pas le jour suite
à une embrouille entre les deux hommes qui ne retravailleront
jamais plus ensemble.
Nous sommes en 1971, IROY a 29 ans et il a du chemin
à faire. De son côté Mudie s'entoure d'un
nouveau DJ : BIG JOE.
IROY
LE GRIOT Fort
de ses succès et de ses expériences, IROY
se prend en main. Il va vendre lui-même ses disques
et devient une figure incontournable de Kingston, au guidon
de sa bécane Honda S-90 (moto immortalisée
par Big Youth dans "S90 skank").
Talentueux et apprécié IROY va alors travailler
avec les plus grands producteurs de l'île.
De ses collaborations naîtront de nombreux succès
dont "Problems like"
et "Musical Drum Sound"
pour Lloyd Dailey, "Mood
for Love" pour Winston Blake,
"Make Love"
et "Who Care"
pour Bunny Lee, "Hot
Bomb" pour Derrick Morgan.
En une année IROY devient un DJ incontournable.
Il amuse avec ses interjections comiques ou narquoises,
il attire l'attention en exposant les faits d'actualité,
IROY est à l'époque celui qui va le plus
loin dans la recherche des rimes, multipliant les références,
allant jusqu'à parler de Cléopâtre,
de Alfred Hitchcock, de Mickey Spillane ... il était
également considéré comme le meilleur
DJ d'improvisation, prêt à se poser sur n'importe
quel riddim.
Aussi, bien qu'il ait enregistré de nombreux titres
et travaillé avec les plus grands, sa première
vocation reste le sound system et c'est par là
qu'il va enfin réaliser son plus grand rêve
en prenant la place de UROY dans le mythique sound KING
TUBBY'S HI FI HOMETOWN, en 1973.
La même année, qui fût sa plus grande,
IROY rencontre le producteur GUSSIE
CLARKE, avec qui il enregistre son premier
album, devenu aujourd'hui un classique : PRESENTING
IROY.
Sa côte de popularité est au plus haut et
en fait une des vedettes de l'île, on l'appelle
désormais IROY THE PRESIDENT ! Pourtant, en 1974,
après un conflit entre lui et d'autres membres
du sound, il quitte le King Tubby's Hi Fi et part à
Londres, où il s'installe au club Roaring
Twenties à Carnaby Street pendant presque
une année.
DJs
AU TOP
Quand il revient en Jamaïque en 1975, IROY
est déjà une star, son talent n'est plus
à démontrer. D'ailleurs au cours des 8 mois
qui suivent son retour à Yard (février 1975),
il travaille avec de nombreux producteurs et détient
plus de 30 titres dans les charts.
A cette époque, si IROY continue à travailler
avec tous ceux qui le souhaitent, il y a tout de même
un studio pour lequel il a une préférence
: le CHANNEL ONE,
qui vient à peine d'être ouvert par les
frères HOOKIM (Ernest et Jojo) qui jusque là
étaient plus réputés pour leur côté
Badboy.
Une fois de plus, avec Channel One, il va s'avérer
que ROY fait le bon choix, non
seulement
pour sa carrière, mais aussi pour le développement
du reggae music dans son ensemble.
Si vous êtes amateurs du son de ce studio, vous
connaissez certainement ce "Clap" de
batterie si particulier au studio, si particulier aux
Revolutionaries. Figurez-vous que IROY n'y est pas
pour rien dans le choix de ce style qui va déferler
sur la Jamaïque pendant les années à
venir.
Jusqu'au milieu de l'année 1975, le studio des
frères HOOKIM n'a pas un son très original
et les quelques enregistrements effectués pour
Junior Byles, Alton Ellis, Stranger & Gladdys ...)
n'ont pas de retentissements dans l'île. C'est avec
l'arrivée de IROY et de son titre "WELDING",
que le tournant va se faire pour CHANNEL ONE. Chanson
explicitement paillarde, WELDING est certainement un des
premiers enregistrements à faire figurer le son
de batterie mythique, inventé par le duo de choc
Sly & Robbie qui vient de s'allier en cette
année 75. Avec ce titre IROY explose les charts
en Jamaïque, mais aussi en Angleterre. C'est le titre
de l'été 1975 ! Les Revolutionaries viennent
de faire leur apparition, tout comme Channel One qui va
devenir le studio le plus fréquenté de l'île.
IROY, de son côté héritera du titre
de producteur officiel du studio.
LE
TEMPS DES RIVALITES
A
cause de son statut de star IROY entraîne
les jalousies et la nouvelle génération
de DJs entend bien détrôner les anciens,
avec le nouveau style plus culturel, plus revendicatif.
A l'époque, les DJs sont extrêmement
en vogue et leur nombre ne cesse d'augmenter : les
plus connus sont BIG YOUTH, TRINITY, RANKING JOE,
DILLINGER qui recalé comme chanteur, fût
enregistré dès le lendemain comme
DJ ; Hugh Mundell, qui est aussi connu en version
DJ sous le nom de JAH Levy ; même le célèbre
batteur Leroy Horsemouth s'essaiera au genre sous
le nom de MAD ROY. Les Jamaïcains en raffolent
!
Cependant,
bien que les concurrents talentueux arrivent en masse,
ceux-ci n'inquiètent pas vraiment les anciens qui
ont déjà laissé leurs marques dans
la musique jamaïcaine. Au contraire, cette compétition
aura plutôt tendance à les surexciter et
un DJ comme IROY n'est pas en reste dans les histoires
de DJs CLASH (querelles musicales) de l'année
75. Le plus important de tous est sans aucun doute le
combat de coqs que sont menés IROY
et PRINCE JAZZBO (qui a suivit à peut
près le même parcours).
C'est
IROY qui lance les hostilités sur "STRAIGHT
TO JAZZBO'S HEAD", avec des lyrics
comme "Jazzbo, si tu étais un Jukebox,
je ne mettrais pas un sou dans ta fente"
(...) "la roulette russe va régler
ton sort de bloodclat!". Jazzbo, dégoûté,
mais pas violent, préfère répliquer
avec son "STRAIGH
TO IROY'S HEAD", envoyant des rimes
comme "Salut fans de Jazzbo ! Iroy tu n'es
qu'un gamin, tu ne fais qu'imiter le grand UROY
! Pourquoi viens-tu emmerder prince Jazzbo ? Prince
Jazzbo ne t'a jamais fait de mal !" . IROY
ne tarda pas à répliquer avec le terrible
"Sit Down Yourself", s'en suivront
plusieurs titres dans le genre ! Vous allez me demander
: qui fût le gagnant ? BUNNY LEE ! C'est lui
le producteur qui lança le défit et
produisit la plupart des singles. Un coup de marketing
? Peut être ! En tous cas ces querelles pimentent
agréablement l'histoire de la musique jamaïcaine
et ont permis à IROY de rester en route face
à l'afflux de la nouvelle école.
Si vous souhaitez retrouver la majeure partie des
titres de ce clash vous pouvez essayer de vous procurer
les albums "Step Forward Youth"
(Live & love 1975) et "Head to Head
clash with Prince Jazzbo" sorti sur le
label Umoja de Jazzbo en 1990.
80'S,
90'S. DU TOP AU GROUND
l'album de clash cité plus haut, "Step
Forward Youth", est en fait le 4ème du
DJ qui après sa collaboration avec Gussie Clarke
en 73, enregistre "Many Moods Of IROY"
(Trojan 1974) et "Truths & Rights"
(Grounation, 75).
En
1976 IROY passe une nouvelle étape.
Il signe un deal en association avec le producteur
Tony Robinson, pour 5 albums chez VIRGIN
: "CRISIS TIME"
(1976), l'excellent "HEART
OF A LION" (1977), "MUSICAL
SHARK ATTACK" qui sera un énorme
succès en Angleterre en 77 avec plus de 100
000 copies vendues, "THE
GENERAL" (1977), "WORLD
ON FIRE" (1978) .
Durant le même temps, IROY continue de travailler
avec d'autres producteurs et enregistre même
des albums. Notons tout de même, qu'au long
de sa carrière IROY en enregistra près
de 30.
En 1977, c'est Alvin GG RANGLIN qui
le décide d'enregistrer un album avec lui,
et c'est au CHANNEL ONE Studio qu'ils se
rendent pour y poser un album d'anthologie sur les
riddims des Revolutionaries : THE
BEST OF IROY.
La même année on le retrouve aussi
sur une autre production locale qui vaut le détour
: 10 COMMANDEMENTS,
album sur lequel IROY se pose sur 10 versions de
Bob Marley, reprisent par le groupe Chalawa. On
peut noter en passant, qu'au niveau productivité,
le DJ SIZZLA Kalonji n'est pas le premier à
sortir autant d'albums, c'est même quasiment
une tradition ! En effet, l'année où
les deux 7 se sont clashés (1977), IROY en
a sorti 6, donnant toujours le meilleur de lui-même.
Durant
les années 80, IROY continue à
enregistrer, mais il ne retrouvera jamais la popularité
d'antan, laissant définitivement la place
à une nouvelle génération
de DJs tels que LONE RANGER ou YELLOW
MAN ... Il restera pourtant assez prolifique,
sachez qu'entre 1978 et 1994, il n'enregistre
pas moins de 16 albums chez Virgin, Imperial,
Justice, Micron, Third World, Joe Gibbs, Mr Tipsy,
Blue Track, Kings Music et Umoja (le label de
Jazzbo).
En
1994, l'original IROY tombe gravement malade
et selon de nombreuses sources sombre dans les
méandres du crack. Durant les 5 années
qui vont suivre, IROY va vivre comme un mendiant
dans les rues de Spanish Town, seul, sans un centime,
malade, très malade même !
C'est cette maladie qui lui prendra la vie le
samedi 27 novembre 1999
à l'hôpital de Spanish Town où
il fût interné d'urgence, mais en
vain. ROY SAMUEL REID était déjà
bien loin de sa période faste, loin de
l'époque où on l'appelait le président,
où il était respecté par
tous. La drogue, le jeu, l'argent, les relations
familiales ... tant de facteurs qui l'ont mené
directement au niveau du ground. Le coup fatal
fût la mort de son fils à la prison
St Catherine deux semaines avant la sienne.
Comment un artiste aussi intelligent, aussi talentueux
peut connaître en 5 ans une telle déchéance
? Quoiqu'il en soit, c'est une honte, un artiste
de sa trempe ne peut pas mourir comme ça
dans un caniveau !!! Et plus encore sans reconnaissance
!
Grâce
à cet article, nous espérons que ceux
qui depuis longtemps se contentent de croire que IROY
ne fût qu'un copycat de l'originator Daddy UROY,
comprendront la place et l'importance que cet artiste
à eu dans le reggae music. JAH BLESS.