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Producteur et chanteur prolifique durant les années 70, Alimantado avait disparu après une tournée européenne aux côtés de sa femme au début des années 90. Le bon docteur était tout simplement occupé à represser son catalogue (quelques 13 albums chez Greensleeves !) pour la plus grande joie des amateurs... Après de longues péripéties, c'est en Gambie (Afrique de l'Ouest) que celui qui se fait désormais appeler Ras Tado a élu domicile avec sa famille... Rastaman tribulations! Une interview  HEARTICAL.net qui a rencontré Tado en Gambie.

Le sound qui t'a rendu célèbre fut Lord Tippertone Hi-Fi ?

En fait, c'est plutôt moi qui ai rendu célèbre Lord Tippertone Hi-Fi ! Mais, avant d'oeuvrer pour Lord Tippertone j'ai travaillé avec beaucoup d'autres sounds... J'ai commencé à DJ chez Downbeat Studio One, Coxsone Hi Fi ou Hi Power comme il vous plaira... right ! J'avais l'habitude de suivre ce sound au quotidien et un soir King Stitch voulait aller se faire un chalice et j'étais le seul sur scène, alors il m'a passé le micro ! Le premier sélecteur de Lord Tippertone fut un frère du nom de Virgy, j'ai été le premier DJ du sound... Par la suite, on a eu des problèmes avec Virgy car il ne savait pas selecter... Ou plutôt il ne pouvait pas selecter au niveau qu'on désirait... Or, tu sais qu'en
Doctor Alimantado - Chris Salewicz - Adrian Boot
Jamaïque on ne rigole pas avec le sound business ! Si tu ne select pas les bons morceaux au bon moment il n'y aura jamais foule... Alors, on a contacté un autre sélecteur du nom de Wang-Chu, c'était le Don Dada des sélecteurs ! Car beaucoup gens parlent de sélecteur ceci et de sélecteur cela, mais je pense que seul Jah Wise (ndlr. autre sélecteur célèbre de Lord Tippertone) pouvait selecter au niveau de Wang Chu, mais Wang Chu reste le meilleur pour moi... Avec Wang Chu, le sound a commencé à tourner et quelques temps plus tard on était à même de jouer contre n'importe quel sound et d'enterrer n'importe quel sound !

Tout ça c'était à quelle époque ?
Je ne saurais pas te dire, car à l'époque on ne faisait pas franchement attention aux dates ! Ce que je sais, c'est que ce n'était pas dans les 60's alors ça devait être dans le début des 70's, 1971-1972... Mais, j'ai commencé à enregistrer dès 1968...

On te connaît sous de nombreux noms : Winston Prince, Youth Winston, Winston Cool... C'est dur de te suivre !
On m'appelait aussi Winston Scotland ... Mais, je ne me souviens pas de tout... De fait, j'ai enregistré des disques dont je n'ai même pas de copie ! A l'époque, on allait au studio, on enregistrait et on s'en allait car il n'y avait même pas assez d'argent pour se payer une cassette... Alors on attendait la sortie du single qui parfois ne sortait jamais ! Les premiers morceaux que j'ai enregistré en 67, 68 et 69 ne sont jamais sortis en Jamaïque. Je ne sais pas si ils sont sortis à l'étranger... J'ai perdu la trace de ces disques et même si je les entendais aujourd'hui, je ne les reconnaîtrais pas car ma voix à l'époque était semblable à celle d'un bébé ! Non, vraiment je ne pourrais pas les reconnaître à moins que quelqu'un me dise "Eh ! C'est toi !". Lorsque je me rends en France, j'entends des morceaux et on me dit que c'est moi, or c'est souvent la première fois que je les entends depuis leur enregistrement !

 

Tu as enregistré pour les plus grands producteurs : Lee Perry, Bunny Lee, Tubby's, Randy's...
Non... Je n'ai pas vraiment enregistré pour ces gens... Quand tu dis ça, on dirait que je suis un chanteur de studio, ce n'est pas ce que je suis... Je suis un rastaman, je suis entré dans la musique en tant que rasta participant à l'oeuvre de Jah. A une certaine époque la plupart des gens de l'industrie musicale ne voulaient rien savoir de rasta. Même si j'étais dans la musique depuis longtemps, des étrangers venaient me voir pour me dire "tu sonnes bien, viens donc en studio demain", je me rendais au studio puis je n'entendais plus jamais parler de ces gens là... J'ai alors réalisé que si je ne prenais pas les choses en main ça n'aller rien donner...

C'est ainsi que tu as créé tes propres labels ?
J'ai commencé par passer un accord avec ceux qui voulaient m'enregistrer, je leur disais : "Si tu veux que je vienne, on fera 50/50 ..."

Qui pouvait accepter ce genre d'accord ? Sûrement pas Coxsone !
En effet, et c'est pourquoi tu n'as jamais entendu de Doctor Alimantado sur Coxsone ! J'ai pourtant bien enregistré des morceaux pour Coxsone, mais comme il ne voulait pas accepter l'accord, je lui ai dis d'effacer les enregistrements... Certains tels que Lee Perry et d'autres ont accepté, par contre je n'ai jamais vraiment enregistré pour Bunny Lee ...

Tu as pourtant sorti un morceau avec les Aggrovators (section rythmique de Bunny Lee) ...
Yeah... Le premier et sûrement le dernier morceau paru de moi sur le Label Jackpot (ndlr. le label de Bunny Lee) ... Bien qu'il puisse y en avoir un ou deux autres... c'est le morceau "I killed the barber". Si ce morceau est sorti sur Jackpot ... C'est parce que

le jour où je me rendais au studio pour l'enregistrer, je suis tombé sur Bunny Lee qui m'as interpellé "Eh, Tado ! Où vas-tu ?"... Je lui ai dis " Je vais enregistrer un morceau car en sound je le chante et les gens deviennent fous ! Trop de Gun Salute !!", alors il m'a proposé de faire un cut sur son riddim. Je lui ai dis non, car je voulais construire mon propre riddim afin d'avoir le morceau pour moi... Il m'a alors répondu qu'avec l'argent des musiciens je pourrais payer le pressage du morceau et c'est comme ça qu'il m'a eu! Il était là au bon moment, à la bonne heure car je n'avais pas de quoi payer mon pressage ... Mais, il m'a dit : "Tado, ce morceau je te le donne, je ne veux rien... Tu te charges de la publication, du riddim et de tout...". Je suis alors allé voir Tubby's pour lui demander un cut du Barber riddim, je lui ai dis que Bunny Lee m'envoyait. Tubby n'aurait pas cru quelqu'un d'autres sur parole, mais moi il me connaissait... Ce jour là, Pat Kelly était l'ingénieur du studio et on a enregistré, quel cut m'a-t-il donné ? The Barber ! Mais, je n'aimais pas ce morceau ! Je lui ai dis que je voulais le refaire mais Kelly a répondu "Non ! Je n'y toucherais pas... Je vais t'en faire une copie et tu vas l'écouter, si demain tu reviens et il ne te plais toujours pas, on l'enregistrera à nouveau...". Je suis donc rentré chez moi, j'ai préparé un bon Ital et un bon chalice... J'ai écouté la cassette et... What ? Bloodclat ! This one is wicked !! Tout le monde a commencé à danser dans la cour et j'ai écouté le morceau quelques 50 fois dans la nuit. J'ai dit OK on la garde... Lorsque je me suis pointé au studio le lendemain Tubby avait déjà commencé à vendre des dubplates du morceau ! La veille, après mon départ tout le monde en parlait déjà et tous les soundman voulaient un cut du morceau ! Je me suis dis : si je le sors sur mon label - Ital Sound, Vital Food - ça ne feras pas un hit... Je l'ai donc donné à Bunny pour qu'il le sorte sur Jackpot, et c'est ainsi que j'ai eu mon premier hit en Jamaïque qui s'est vendu à près de 100 000 exemplaires !

Parles nous de ta collaboration avec Lee 'Scratch' Perry sur "Best Dressed Chicken in Town".
Le morceau "Best Dressed Chicken in town" m'est venu un soir où je fumais le chalice en écoutant des morceaux. Une idée m'est venue et j'ai arrêté la cassette pour rembobiner, à force de rembobiner la bande s'est coupée ! Le son qui sortait était un son déformé ... Bloodclot !! Je suis alors allé voir Lee Perry pour lui expliquer l'idée, dés qu'il a compris le truc ça lui a tout de suite plu ... On a commencé à travailler en studio mais je me suis retrouvé à court d'argent ! Perry m'a dit "Pas de problème, j'aime ce morceau." Il a donc pris en charge le morceau... yes rasta!

L'album du même nom a été le premier titre du catalogue Greensleeves !
J'ai rencontré Chris Lane, qui a ramené John Mc Gillivray (Ndlr. Futurs créateurs de Fashion Rcds et Dub Vendor) puis Dave Hendley... Je les ai bien traité, emmené partout sur l'île... Certains m'appelaient même "guide touristique" !! Ils voulaient faire quelque chose pour moi, ils m'ont demandé "Comment pourrait-on te faire venir en Angleterre ?", je leur ai dis que je souhaitais créer une compagnie et qu'ils pourraient en être gérants et actionnaires ... Ils m'ont dis OK. J'ai fait un morceau que j'ai pressé à 500 exemplaires pour eux, ils sont partis avec ... J'ai oublié le nom du morceau. Un jour, le téléphone sonne c'était John qui me dit "Tado, va prendre un billet chez British Airways ! Tu te souviens ? Tu voulais qu'on monte une compagnie...", pour moi c'était juste une idée en l'air. Il m'a dit de réfléchir car le billet était pris, j'en ai parlé autour de moi et tout le monde me disait d'y aller... J'ai donc dis OK, on va faire une boîte dont je serais le propriétaire et vous les actionnaires. Avant de prendre l'avion, j'ai rappelé John et je lui ai redis la même chose, ils ont dit OK. A mon arrivée, j'ai compris que Dub Vendor ne pouvait couvrir mes frais seuls, en fait ils s'étaient associés à Regal Music pour payer mon billet d'avion.

On s'est réuni, Daddy Kool a amené le contrat qu'on a passé en revue mais, à l'heure de parler des pourcentages je leur ai dis que je voulais financer la compagnie ici et en Jamaïque, ils ont dis OK. Je leur ai dis, je veux 70% de la compagnie et vous aurez 10% chacun car vous êtes 3 à m'avoir fait venir... Lane, Hendley et Mc Gillivray n'étaient pas d'accord, on a fini dans la confusion et je n'aime pas la confusion. On a décidé de se revoir le lendemain, ils m'ont alors proposé 7,5% des parts ! Je leur ai dis "Je ne connais pas bien l'Angleterre, mais la loi anglaise s'applique en Jamaïque et jusqu'à preuve du contraire pour détenir une compagnie il faut posséder au moins 51% des parts, je n'investirais rien sans posséder au moins 51% ", ils m'ont proposé 30% et j'ai laissé tombé, je leur ai proposé de rembourser le prix de mon vol et c'est ce que j'ai fait, ils m'avaient prêté de l'argent et je leur ai rendu... Nos chemins se sont séparés, plus tard j'ai rencontré ce gars, GB. Je lui ai parlé de mon projet mais GB bossait déjà avec les Morwells... Il m'a parlé de gens que cela pourrait intéresser et qui feraient tout ce que je voudrais... J'ai dit "Tout ?", il m'a dit "Oui, tout !". J'ai alors rencontré Chris & Chris, ils étaient content de me connaître et souhaitaient travailler avec moi, ils m'ont proposé 90% ! J'ai dit OK, vous créez ma compagnie et j'en garde 100%, en échange je vous donne un morceau à sortir sur votre label. C'est comme ça que Greensleeves est né, l'histoire est trop longue à raconter mais ça aurait pu être ma compagnie, simplement ce ne serais sans doute pas devenu la même chose...

 

Tu viens de rééditer tes premiers albums en vinyl, la pochette de "King's Bread" est parue en noir et blanc ?
Oui, elle a toujours été comme ça car on a eu un problème avec des jamaïcains... La photo était en couleur à l'origine, mais on l'a donné à un gars qu'on n'a jamais revu ! Du coup la couverture est restée incomplète comme un pre-release... Et c'est comme ça qu'on la vend !
 
Tu avais des copains chez les Punks en Angleterre ?
J'ai des amis partout ... Je n'ai pas d'ennemis, si quelqu'un veut être mon ennemi c'est son problème... Les punks sont apparus avec Johnny Rötten qui avait fait un morceau intitulé 'God save the Queen even if she is no human being' (Ndlr. 'Dieu sauve la Reine même si elle n'est pas humaine'). Rötten est passé à la télé, il a baissé son froc et a dit à la reine: "Je veux te baiser ! Lèche mon cul !" et des tas de trucs dans le genre... La police l'a attrapé et lui a foutu une sacré raclée ! Alors, il a dit "Je n'ai pas de liberté d'expression ! Ceci n'est pas un pays libre ! La Reine n'est qu'un être humain...". Il était très déprimé car c'était la première fois qu'il réalisait qu'il ne vivait pas dans un pays libre, du coup il voulait se suicider... Un de ses amis - Donovan Lett - lui a fait écouter mon disque "Born For a Purpose", ce disque lui a tellement plu qu'il le jouait partout : interviews, radios, télés... Le morceau est devenu célèbre comme ça, du coup les punks l'ont aussi adopté !


Il y avait une vraie connection Rasta-Punk à l'époque ?
Oui, même Marley a fait "Punky Reggae Party", on traînait tous avec les même personnes. Bob me rendait visite quand il était Angleterre. J'étais proche des Clashs, surtout de Joe leur batteur et de Chris leur guitariste, on était vraiment de très bons amis... 

Et comment la philosophie rasta s'accommode-t-elle du concept de "No Future" ?

On avait résolu la question en Jamaïque, tu sais... No Future on connaissait bien là-bas et du coup dès qu'on était en Angleterre on avait déjà un futur ! C'est toujours bon de se mélanger, en Jamaïque ou ailleurs. C'est un peu comme ici en Gambie, il doit y avoir 10% de Blancs mais c'est eux qui détiennent l'économie, ce sont des parasites qui nous font souffrir... En Jamaïque c'était eux les riches et nous les pauvres, on ne se mélangeait pas. En Angleterre, c'était différent : tu pouvais voir des blancs, des indiens, des chinois pauvres ! C'est alors que tu réalise que les blancs, les chinois, les indiens sont des gens... Des gens comme les autres ! Ce ne sont pas que des bâtards qui volent en avion, t'éclaboussent avec leur voiture et ne s'excusent jamais... Tu réalises qu'ils ont un coeur !
 

Tu as décidé de t'installer en Gambie, toujours fidèle à l'idée du rapatriement ?
Je viens d'une famille de rasta, mon père s'est battu pour ça. Je n'habitais pas la Jamaïque mais le pays rasta (...). Pour les rastas l'autorité de la reine d'Angleterre est nulle, l'autorité du gouvernement de l'île est nulle, la seule autorité reconnue est celle de l'Ethiopie avec H.I.M. Hailé Sélassié, Seigneur des Seigneurs à sa tête. Lorsque le reggae est devenu populaire, bons nombre d'entre nous sont partis à l'étranger où ils se sont perdus dans la recherche de l'argent... Tu ne peux pas revenir en Jamaïque car les flingues t'attendent, tu ne peux pas aller en Afrique car la malaria t'attends, tu ne peux pas aller en Europe car le système t'attends... Que faire alors ? (...) Nous voici en Gambie ! Avec beaucoup de projets, je monte un studio et suis à la recherche de matériel, si vous en avez envoyez le à l'adresse suivante : Doctor Alimantado /Ras Tado. P.O Box : 3436 - Serekunda / Gambia / West Africa . Run thingz . Everytime ! Frères et soeurs, je veux travailler à la défense et la construction de l'Afrique, car tant que l'Afrique ne sera pas forte le monde ne connaîtra pas la stabilité et il n'y aura pas de paix sur terre tant que l'Afrique et sa jeunesse seront faibles. Je me trouve en Afrique et tous les africains veulent aller en Europe. Mais toi et moi savons qu'il n'y pas de place pour eux là-bas !

Je pense que la Gambie peut être un phare qui illuminera le reste de l'Afrique et du monde (...) Moi et ma famille risquons la mort en habitant un pays infesté par la malaria. Tout ce dont nous avons besoins c'est un labo et quelques scientifiques pour mettre au point un vaccin contre la malaria, car c'est possible ! (...)

DOCTOR ALIMANTADO - Sergio from HEARTICAL crew http://www.heartical.net

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