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Si depuis le début de jahmusik nous avons choisi d'ouvrir à chaque édition un dossier sur une légende du reggae, il nous a paru indispensable en rencontrant les Elders de la "Mystic Revelation of Rastafari" de vous offrir ce dossier sur le fondateur du rythme rasta, Oswald "Count Ossie" Williams (1926- 1976), parce que cela fait maintenant plus de cinquante ans que le Comte donna aux rastas leur musique en instituant le Nyahbingi, prémice du reggae, rythme détenteur de toute une histoire.

Tout d'abord, il faut noter que ce n'est que la deuxième génération de rasta qui institua le rythme dans le dogme, tout comme le langage si particulier (I-talk), et tout comme une grande
partie de la symbolique Rastafari.
En fait, au début des années 1930, quand les précurseurs rastas (Leonard Howell, Joseph Nathaniel Hibbert...) se mirent à vouer un culte à Ras Tafari, la Jamaïque était dans un état d'ébulition au niveau spirituel, et de nombreux cultes à "connotation africaine" pullulaient depuis l'émancipation en 1834; mais ni le reggae, ni même le tambour n'avaient concrètement leur place dans l'univers symbolique des premiers rastas du Pinnacle, qui se contentaient, comme de nombreux cultes revivalistes, de perpétuer des hymnes Ethiopianistes (Celles de l'UNIA de Marcus Garvey) ou des chants tirés du psautier "Sankey Hymnal", détournés au profit de Ras Tafari.
Et c'est bien sur ce point si particulier que Oswald Williams entre en oeuvre.
 

Dès son plus jeune âge, à Bito (là où il est né, dans les montagnes au-dessus de Bull Bay) il n'y a que la musique qui l'intéresse et il fait déjà parti de la fanfare locale des scouts où il jouait du tambour et du fifre; quand sa mère decida de partir pour Rockfort (Kingston Est) au début des années 1940, il rejoint un autre marching Band de scouts, le "Saint saviour Call Troop".
C'est donc à Kingston que Count Ossie vécu son adolescence, passioné par le tambour, et très rapidement attiré par les discussions des rastas de Salt Lane (Kingston Ouest) qui agitent toute sa génération.

La nouvelle génération de rasta (dont le Count) est différente de la première, ce ne sont plus des femmes, ni des anciens combattants que l'on retrouve majoritairement, mais des jeunes des campagnes, repoussés vers les ghettos naissant de Kingston Ouest depuis la crise et l'exode rural. Pour la plupart ils n'ont pas connu les discours de Garvey, ni les voyages, mais ils vivent au contact de leurs ainés (maitres d'oeuvre de la révélation de Ras Tafari) et de toutes les mouvances culturelles du ghetto.
C'est donc à partir de la fin des années 1940, dans le camp de Salt lane (Kingston Ouest) que le jeune Oswald Williams, alors agé d'à peine 20 ans, commença à penser ce que pourrait être une musique typiquement rasta.

A Salt Lane, au côté des rastas, on retrouve la communauté Burru (descendante d'une caste d'anciens esclaves qui tambourinaient pour rythmer le labeur des esclaves ouvriers, on les retrouve au début du XXème siècle animant des fêtes comme la Noël) également repoussée vers les ghettos depuis le début du siècle.
"Les gens du Burru n'avaient pour ainsi dire pas de religion à eux, les rastas n'avaient pas de musique", en quelques années, les deux groupes fusionnèrent peu à peu, échangeant et mixant leurs pratiques, et les gens du Burru disparurent quasiment en tant que groupe social.
C'est à l'écoute d'un maitre Burru (qui deviendra son propre maitre), Brother JOB, que Count Ossie remarque que les racines africaines avaient survécu, et étaient encore intactes en Jamaïque grâce au gens du Burru. A partir de là, il decida de ne plus se consacrer qu'aux tambours.
Avant d'aller plus loin, et pour éviter toute contreverse, il faut noter que le rythme Kumina aurait également inspiré de nombreux batteurs rastas dont le Comte, mais il ne prit jamais la même importance que le Burru, probablement du fait que les pratiques Kumina était très proches du Vaudou et donc occultes.
C'est donc autour de 3 tambours Burru que le Nyabinghi naquit : le tambour basse, le fundeh, et le repeater. Le tambour basse et le fundeh forment les fondations rythmiques sur lesquelles le repeater brode ses envolés.
A force d'écouter brother JOB sans pouvoir s'entrainer sur autre chose que des boites de conserve, Count Ossie se mit à rêver d'un tambour, le sien. Quand il eu pris la décision d'en acquérir un, il s'adressa directement au maitre de Brother JOB, l'un des plus grand batteur Burru, également rasta : Watto King.
Watto King était selon la légende, un homme très respecté; de nombreux jeunes rastas se rassemblaient autour de lui pour apprendre des rythmes, qu'ils partaient diffuser dans les autres ghettos quand ils les avaient assimilé. Mais souvent celui-ci fut déformé, accéléré.
Count Ossie, lui, reste ancré dans un vieux rythme Burru, et souhaite par sa musique, exacerber les capacités de raisonnement, le "reasoning", il cherchait réellement à transformer une musique populaire, en un moyen d'expression d'une foi mystique. Pour se faire, il calla son rythme sur la cadence d'un coeur au repos (60 beat/ seconde) et institua des assemblées de méditation, les Grounations (littéralement "prise au sol") comme moments de raisonnement privilégiés.
Ayant trouvé sa voie, et déçu du tournant trop cabalistique (trop mystique) que prenaient la plupart des jeunes rastas de Kingston Ouest, c'est dans les collines de Wareika, à l'Est, qu'il part sobrement s'installer avec ses frères, et dévoile à Noël 1949, lors d'une assemblée de méditation le rythme Nyahbingi. A partir de là, de plus en plus de jeunes viennent assister au Grounation de Count Ossie, et ce n'est plus un simple batteur que l'on vient voir de tout Kingston, mais un maître du tambour rasta, un Nyahbingi man.

En 1951, après le terrible cyclone Charlie, le camp de Count ossie fut totalement détruit et c'est non loin de là, à Adastrada Road (toujours à Wareika), que les frères établirent leur nouveau campement, qui devint un lieu légendaire.


Dès le début des années 1950, le Comte qui se démarque par son style et son élégance dans le jeu, est de plus en plus souvent invité à des manifestations artistiques où on l'écoute plus qu'on ne danse, tant son style entraine le raisonnement. Rapidement cette ouverture amène un nouveau public aux Grounations du dimanche : les Jazzmen, élèves de la "Alpha School", fascinés par le message rasta et ce nouveau rythme qui remonte des racines mêmes, d'Afrique.
L'Alpha School est un autre lieu légendaire de l'histoire du reggae, d'où sortiront quelqu'uns des plus grands noms de la musique moderne dont le célèbre saxophoniste Wilton Gaynar qui devint le meilleur ami du Comte et ramena la crème des cuivres des anciens d'Alpha : Rico Rodrigues, Cedric "Im" Brooks, Johnny Dizzy Moore... et bien sûr Don Drummond.

Don Cosmic Drummond
Don Drummond

Don D. le tromboniste, l'instrumentaliste le plus célèbre de Jamaïque, le fondateur des Skatalites; c'est lui qui entrouvrira les portes du show business à Ossie et ses batteurs, en les emmenant quelques fois jouer avec lui sur des scènes branchées de Kingston.
Les batteurs ne s'appelaient pas encore "Mystic Revelation of Rastafari", d'ailleurs lors de leurs représentations, on annonçait généralement : "tambours africains", et leur philosophie rasta n'étaient pas mise en avant comme dans les Grounations, même si tout le monde savait de qui et de quoi il sagisait, tant l'idéologie rastafari faisait son chemin dans toutes les couches de la société jamaïcaine, malgré les discriminations persistentes.
C'est grâce à une danseuse, "Reine de la Rhumba", Marguerita Mahfood, Jamaïcaine blanche d'origine syrienne , que Count Ossie et ses batteurs se firent connaître et reconnaître en tant que groupe , avec un style et une philosophie propres . Marguerita (pour l'anecdote maitresse de Don D qui la tuera quelques années plus tard) était réellement fan de Count Ossie et ne pouvait plus se passer de lui et de son équipe pour ses shows. Sa popularité était énorme et elle ouvrit très largement les portes de la Jamaïque bien pensante au Nyahbingi, qui débordant les cercles Rastas, se mua en une véritable influence musicale.

En 1961 (un an avant l'indépendance et quelques années seulement après l'arrivée de l'électricité) le ska va naître, propulsé par des hommes comme Harry Moodie ou Prince Buster qui utiliseront les influences Blues, Jazz , Callipso et Nyahbingi, très présentes à l'époque pour créer le nouveau rythme en vogue.

 

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Mystic Revelation of Rastafari
DISCOGRAPHIE



Grounation, est le premier album Nyahbingi de Jamaïque, réalisé par Count Ossie et les frères de la Mystic Revelation, en 1972.
A l'origine triple vynile, vous trouverez à prix très abordable le double CD (bien que le son ne soit pas restitué à l'identique)

Enregistré en 1975, un an avant la mort de Count Ossie, en Hommage à l'indépendance du Mozambique, Tales of Mozambique, est un chef d'oeuvre du genre.
Fin mélange de Nyahbingi, de Calypso et de Jazz, ponctué par les interventions de Bother Sam, cet album est incontournable.

Les Mystics, aujourd'hui dirigés par Brother Sam, ont sorti cette année un album Bongo Man a come chez Night & Days

Brother Samuel Clayton (Jahmusik, Lyon)

 
Count Ossie posera de nombreuses fois ses tambours pour les sections rythmiques des musiciens de Jazz.
C'est aussi en 1961 qu'accompagné par de jeunes chanteurs de son entourage, les Folkes Brothers, Ossie va sortir son premier tube "O Carolina"(produit par Prince Buster) qui deviendra rapidement un Hit dans les Charts Ska.
Cette année est également cruciale pour les rastas, car après plusieurs décennies de persécution, le gouvernement jamaïcain décida sous l'impulsion de Mortimer Planno (rasta de l'ouest de Kingston, mentor de Marley) et surtout après le rapport de l'université de Mona (Smith, Augier, Nettlford, 1960) d'organiser une mission en Afrique. 7 personnes partirent, dont 3 rastas et des membres de l'UNIA et de l'EWF (Ethiopian World Federation). Parmi les rastas on pouvait retrouver Mortimer Planno, mais aussi deux proches de Count Ossie, Brother Filmore et Douglas Mack, c'est dire l'importance qu'avaient pris les rastas de Wareika, plus tolérants, et plus centrés sur l'éducation que les rastas de l'Est. Le grand moment de ce voyage fut la visite en Ethiopie où ils rencontrèrent sa majesté Haile Selassie I, qu'ils honnoreront au son du Nyahbingi, cinq ans plus tard, lors de sa visite en jamaïque.

Durant les années 60, la formation de Count Ossie enregistrera quelques 45T et acceuillera de plus en plus de musiciens, mais aussi des danseuses. La formation comptera alors jusqu'à une vingtaine de membres et deviendra un lieu d'expression, un centre d'expérimentation, où sur la base des tambours burrus viendront se mélanger des instruments à cordes et à vent apportant une impulsion résolument moderne à une musique pourtant ancestrale.
A la fin des années 60 les musiciens du Comte fusionnent avec les "Mystics", la section de cuivre de Cedric "Im" Brooks, et deviennent désormais les Mystic revelation of rastafari.
Depuis la venue de Haile selassie I en 1966, puis les évènements de 1968, la Jamaïque a bien changé et l'idéologie rastafari est en vogue ; les Mystics Revelation sont souvent invités à se produire pour les célébrations officielles lors des visites des chefs d'état. Le groupe sera également récompensé deux fois au Carifesta, mais gardera toujours son tempo de départ, le Nyahbingi, malgré l'arrivée du rock steady puis du reggae ; d'ailleurs de nombreux artistes reggae rastafari, honnoreront le Nyahbingi , comme étant le rythme rasta par excellence, tout au long de l'évolution du reggae (Bunny Wailers "Wanted children", Marley "Rastaman Chant", Delroy Washigton "Chant", Max Romeo, Mutabaruka, Buju...).

Mystic Revelation of Rastafari
Le groupe de Count Ossie
Les Mystic Revelation of Rastafari
Durant les années 70, fort de son aura, Count ossie achète un terrain à Wareika et y fonde un centre communautaire, comprenant une école et une bibliothèque.
A partir de là, les mystic Revelation ne se produiront que dans quelques concerts et privilégieront surtout le développement du centre de Glasspole Road, ce qui aura permis aux frères de rester à l'écart des violences politiques.
Count Ossie aura également été invité de nombreuses fois aux USA, dans des universités curieuses de ce personnage partie intégrante de l'histoire des rastas, et de sa musique relatant les survivances africaines, les influences jazz, et mettant en avant la puissance de l'idéologie rastafari ; il y organisa des ateliers musicaux et culturels où passeront de nombreux grands musiciens contemporains.
En 1972, les Mystic Revelation of Rastafari enregistrent , le premier véritable album de Nyahbingi jamaïcain : "Grounation", qui sera suivit en 1975, un an avant la mort accidentelle du Comte, par "Tales of Mozambique"
Le 18 octobre 1976, Oswald Williams se tue au volant de son camion alors qu'il raccompagnait des musiciens après un concert.

Malgré la mort du Comte, les Mystic Revelation of Rastafari ont continué et continuent encore actuellement à jouer et à se produire dans le monde entier, également à faire vivre le centre culturel.
Toujours très actifs au sein de la communauté rastafari, ces Elders, menés par Samuel Clayton, ont déposé devant l'ONU un programme, à l'attention des gouvernements allemand , américain et français, visant à aider toutes les ONG souhaitant partir s'installer ou travailler en Afrique.

Count Ossie aura vécu 50 ans, et aura été un réel pilier de ce que sont aujourd'hui le reggae et l'idéologie rasta . Aujourd'hui, même après sa mort, et celle de son ami de toujours Jah Beck (1997), les élèves de Count Ossie continuent de perpétuer la tradition et la "Mystic Revelation of Rastafari", qui intègre à présent en son sein le fils même du Comte (Time) ainsi que celui de Brother Sam . Les vibrations ancestrales qu'a souhaité faire vivre Count Ossie continueront de vivre tant que des hommes auront le soucis d'agir contre leur ego et pour le bien de tous. "Education, for all the Nations..."

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