BOB MARLEY
Par Roger Steffens

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"La musique élève l'âme de l'homme plus haut encore que les soit-disant formes externes de religion‚ et c'est pourquoi, dans l'antiquité, les plus grands prophètes étaient de grands musiciens."
- Hazrat Inayat Khan, "Le Mysticisme du son et de la musique"

On peut sans aucun doute considérer Bob Marley comme étant la personnalité musicale la plus importante du XXe siècle. Ce n'est pas seulement mon opinion, mais, à en juger par toutes les marques d'approbation qui s'accumulent à l'égard de Bob ces derniers temps, c'est aussi le sentiment de bien d'autres. Et pas des moindres.
La prédiction est le domaine trouble des dupes. Mais au terme de ces deux dernières décennies, depuis que Bob est parti il est clair qu'il reste indiscutablement l'une des personnalités les plus transcendantes du siècle dernier. Les vagues que font ses incomparables exploits rayonnent bien au delà des rivières de sa musique, jusque dans un océan de politique, d'éthique, de mode, de philosophie et de religion. Son histoire est un mythe intemporel qui se manifeste en ce monde, sous nos yeux incrédules.

Traduction : Bruno Blum.

Roger Steffens est acteur, auteur, historien du reggae et conservateur
de l'exposition actuelle "The World of Reggae featuring Bob Marley Treasures from Roger Steffens' Reggae Archives" sur le Queen Mary
à Long Beach, Californie, jusqu'au 30 septembre.
reggaesupersite

Un jour viendra où la musique, et la philosophie qu'elle contient, deviendront la religion de l'humanité… et s'il reste encore une magie, ce sera bien la musique.

Contrairement à quantité de simples vedettes de la chanson, Bob était une grande figure morale et religieuse. Il n'en fut pas moins un artiste international absolument majeur dans le domaine des ventes de disques. À qui pourrait-on bien le comparer ?

Dans l'article principal du cahier "arts & loisirs" d'une récente édition dominicale du New York Times, Stanley Crouch a adressé un éloge irrésistible à Louis Armstrong, l'élevant au rang d' "artiste inégalé" du siècle.
Armstrong a excellé non seulement par son inventivité instrumentale, mais aussi par son style vocal, transformant la manière dont la musique a été faite et écoutée, jusqu'à influencer des artistes
de tout poil jusqu'à nos jours.

Mais l'on ne voit pas pour autant des milliers de Maoris et de Tongaïs et de Fidjis se rassembler chaque année pour commémorer la mémoire de Louis Armstrong. Et qui pourrait raconter qu'il a vu des jeunes se balader partout sur terre avec des t-shirts de Louis Armstrong ? Et en fait, quelle qu'ait été la célébrité des Beatles, on ne voit plus qu'assez rarement des t-shirts à leur effigie, si l'on excepte peut-être ceux où l'on voit un visage de John Lennon inspirant la tristesse. Peut-on imaginer une seconde l'image d'Elvis cousue sur les vêtements de guérilleros armés ? Quand avez-vous vu un drapeau Michael Jackson pour la dernière fois ? Un pagne Bob Dylan ou du papier à rouler Madonna? En revanche, tout cela existe pour Bob Marley.
Son iconographie est très proche d'une sorte de nouveau langage universel, ou comme Jack Healey
d'Amnesty International ne cesse de le répéter, "le symbole de la liberté dans le monde entier".

Seule la musique mérite le nom de réelle si elle surgit bel et bien des tréfonds de l'harmonie de l'âme, sa véritable source. Et quand elle vient de là, elle doit toucher toutes les âmes. Seule la Musique est capable d'unir les âmes de chaque race, de chaque nation, de chaque
famille, aujourd'hui si distantes.
Plus les musiciens seront conscients de leur mission, plus les services qu'ils pourront rendre à l'humanité seront grands.

La plupart des pop stars plébiscitées au cours du siècle dernier avaient comme objectif primordial de divertir. Mais pas Marley. Il était conscient de son rôle de transmetteur du message de Rastafari à la conscience du monde extérieur.
Il se moquait bien des pièges de ce bas-monde, et n'aimait rien mieux que s'allonger, la nuit, sur la terre bien fraîche de Jah afin de contempler les cieux tourner au-dessus de lui, un roc pour tout oreiller.
Il était là pour appeler les gens à Dieu.

On ne peut donc pas comparer Marley à d'autres musiciens connus. Pour ce qui est de la politique, il l'évitait soigneusement. En raison de ses actes il a souvent été perçu (pour ne pas dire craint) comme étant un leader politique radical. Mais pour lui, seule comptait l'anti-politique du salut par l'amour et l'amour seul, un savoir inébranlable de l'unicité de l'espèce humaine.

La musique se cache derrière le mécanisme de l'univers tout entier. Elle est non seulement le plus crucial objet de la vie, elle est la vie elle-même. La musique est l'art le plus exalté, et le travail du compositeur n'est rien moins que celui d'un saint.

Quant à l'innovation, Marley a su synthétiser rythmes et idées nouvelles avec un talent immense. Il a d'abord commencé avec le précoce "Judge Not" à l'aube de l'ère du ska et a poursuivi ses expériences avec le gospel, le rhythm and blues, le rock, le folk, le jazz, le scat, la musique latine, punk, disco et même la bossa nova (inédit).
Bob avait compris que le reggae avait la magnifique capacité d'absorber toutes les influences et de les ancrer solidement au socle basse-batterie, l'élément essentiel, le doux et séduisant secret de son succès.

Mais en réalité, le véritable secret c'est que la musique de Bob a un sens. Elle a de la valeur. L'art de Bob, c'est la vie qui se transforme.
Il répond à nos aspirations les plus élevées. Il répond de façon positive à la question dont Carlos Santana dit qu'on devrait toujours se la poser avant d'agir dans la vie : Comment ceci va-t-il améliorer le monde ?
Bien que Bob soit devenu un artiste commercial, il ne pratiquait pas un art commercial. Son art
transcende l'échec de la variété. Nombreux sont ceux qui jurent que sa musique leur a bel et bien sauvé la vie.
Bien qu'elle ait été au premier plan dans l'antiquité, l'utilisation de la musique dans le but de s'élever vers la spiritualité et de soigner son âme n'est plus aussi présente de nos jours. La musique est devenue un passe-temps, un moyen d'oublier Dieu plutôt qu'un moyen d'en avoir conscience. C'est la façon dont chacun utilise les choses qui fait leur vice ou leur vertu.

Le travail de Bob continue à accrocher un grand nombre d'adhérents, et c'est d'abord ainsi que nous commençons à prendre conscience de son évidente immortalité, qui n'est encore qu'en herbe. Elvis Presley a sans doute été le plus grand icône rock de son temps. Mais ses chansons (dont aucune, en l'occurrence, n'a été écrite de sa propre plume) disent-elles grand-chose de plus que des clichés pop ? Bob Dylan a bien pu être le poète le plus respecté de sa génération, mais ses paroles, souvent délibérément obscures, rendent impossible toute traduction claire et de ce fait limitent leur attrait aux anglophones. En revanche, Marley a su raffiner son art lyrique jusqu'à toucher à une intense perfection, et ce en utilisant le langage des rues pour atteindre les étoiles. Ses mots étaient tellement parfaitement simples qu'ils accomplissaient l'éloquence. Aujourd'hui, chacun peut se retrouver dans ses histoires fondamentales, partout où les gens souffrent et aiment et crèvent d'envie d'être sauvés. En d'autres termes, à peu près chacun d'entre nous.

L'étreinte de Marley et de l'herbe, ainsi que les flots de son étonnante crinière de nattes, qui a poussé de plus en plus férocement au fil des années soixante-dix, ont contribué à son image de rebelle tout-terrain, traité comme une divinité autant par la jeunesse la plus défiante que par les révolutionnaires les plus endurcis, qui l'ont toujours considéré comme étant l'un des leurs, l'approuvant à Harare pendant l'indépendance du Zimbabwé, ou lui envoyant des messages de solidarité du fin fond des jungles péruviennes ou des cachettes les plus reculées de l'Himalaya.
Ainsi il apparaît, en tout cas à l'auteur de ces lignes, que Bob Marley est on ne peut plus clairement celui qui peut prétendre au titre d'Artiste du XXe siècle, au moins dans le domaine de la musique, et probablement bien plus.
Je prédis ici avec une confiance inébranlable que dans plusieurs siècles, les mélodies de Bob Marley seront encore aussi présentes que celles de tout autre auteur compositeur ayant vécu
sur terre. "No Woman No Cry" sera toujours capable de balayer les larmes du visage d'une veuve. "Exodus" excitera encore le guerrier; "Redemption Song" sera toujours un cri de ralliement pour l'émancipation de toutes les tyrannies, fussent-elles physiques ou spirituelles; "Waiting In Vain" séduira toujours; et "One Love" sera l'hymne international d'une humanité café-au-lait vivant dans l'unité, dans un monde au-delà des frontières, au-delà des croyances, où tout le monde aura enfin appris à "être ensemble et à se sentir bien".

L'Homme aime la musique plus que tout. La musique c'est la nature; elle vient des vibrations, et il est lui-même une vibration… Rien au monde ne peut plus aider quelqu'un spirituellement que la musique. Au fond de son cœur, Bob Marley entendait l'harmonie des cieux, et partageait ce son céleste avec le chercheur de dieu qui est en chacun de nous. Il n'est donc pas étonnant qu'à la recherche d'une vidéo résumant le siècle passé, le New York Times ait choisi de préserver "Bob Marley Live at the Rainbow, London, 1977" dans un coffre qui ne s'ouvrira que dans mille ans. Ni que ce même "journal du record" ait appelé Marley "l'artiste le plus influent de la seconde moitié du XXe siécle".

Nous sommes tous annoblis par notre proximité de Marley et de son art, ses éternelles chansons de liberté.

Roger Steffens. (Traduit de The Beat avec l'aimable autorisation de l'auteur, par Bruno Blum)

Roger Steffens est acteur, auteur, historien du reggae et conservateur
de l'exposition actuelle "The World of Reggae featuring Bob
Marley/Treasures from Roger Steffens' Reggae Archives" sur le Queen Mary
à Long Beach, Californie, jusqu'au 30 septembre.

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