après-midi qui passe, entre visiteurs, amis et nouvelles des uns et des autres.
Le lendemain, dimanche, je retrouve à la Parisienne – les meilleurs croissants d’Addis – mes frères et sœurs Rastafari qui sont venus s’installer en Éthiopie il y a quelques mois. Ils me font découvrir le quartier où ils habitent, derrière Olympia : les ruelles tortueuses amènent vers des petites pièces aux murs en torchis. Il fait déjà chaud, l’ombre et quelques versets nous font du bien. Je commence à saisir les derniers événements et discussions qui les animent, et nous restons un long moment à partager les événements de leur quotidien. Ils ont le projet de mettre en place une école de langues étrangères et de musique, et ils mettent à plat leur budget et leur programme. C’est avec un immense plaisir que je renoue avec l’injera. Deux jours après mon arrivée, je me sens déjà comblée !
Le lundi matin je prends la route de l'université, vers siddist kilo, pour commencer mon exploration de la grande bibliothèque de l'Institut d'études éthiopiennes (IES). Je croise A. Zakaria qui me surprend : à peine je prononce le mot "rasta", il répond, irrité : « Ils sont fous !… Avec ces histoires de ganja, c'est ça que tu devrais rechercher ! » Bon… il m'en faudra plus pour me ralentir, et je repars me plonger dans les bibliographies de l'IES. Je passe dans l'après-midi un long moment avec Ras Kwintseb, qui vit depuis quelques années en Éthiopie, et qui me parle de sa vision du rapatriement, de ses efforts pour s'intégrer, de la musique qu'il continue à jouer et à enseigner, et des difficultés rencontrées pour s'installer ici. En marchant à travers la ville je suis surprise de voir des jeunes qui se sont mis bénévolement au travail, sur l'initiative d'un artiste , pour embellir les squares, les bas côtés, les trottoirs. Partout on voit fleurir et prendre des couleurs des endroits qui étaient poussiéreux et sales.
Le 10 avril je repars pour l'université, mais des étudiants ont pris d'assaut l'enceinte de siddist kilo et, en masse, scandent des choses que bien entendu, je ne comprends pas, ce qui m'empêche de savoir la nature même de toute cette agitation. Il y a des militaires un peu partout dehors, qui ne sont pas armés, mais il y a foule. J'essaie de rentrer dans l'université, mais les militaires qui filtrent l'entrée me font attendre puis me demandent mon passeport, que je n'ai pas. Et puis avec tout ça, là, je n'ai même plus envie d'y aller dans cette université. Le lendemain matin pourtant, j'y repars. Sur la route je vois des manifestants, et ma première pensée est positive : au moins ces gens ont le droit de manifester. J'apprends par la suite que ce sont des Siltés, un groupe d'environ 20.000 personnes qui demandent leur indépendance. Je passe ma journée à potasser des livres assez intéressants en bibliothèque, mais le soir, une fois rentrée, j'apprends que des coups de feu ont été tirés à arat kilo, et que des étudiants seraient morts. C'était en fait l'entrée en force de militaires armés dans les dortoirs de l'université. La tension monte à Addis-Abeba, et le jeudi 12 avril les étudiants sont en grève de la faim à la faculté de Sciences. L'IES est désertique, seuls quelques jeunes, le bras en écharpe ou des bandages autour de la tête déambulent dans les jardins de l'ancien palais de Haile Selassie Ier. Partagée entre l'inquiétude et la révolte inutile je pars pour le CFEE (Centre français des études éthiopiennes) et je passe un long moment avec Berhanou Abebe , toujours très fin et de très bon conseil. Le lendemain, je refais mon sac et alors que la nuit est encore noire – délicieux moment de l'aube – je pars prendre un bus pour Shashämäne, direction plein sud.
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En route vers Shashämäne. – Rassembler des informations sur l'histoire des retours de Rastafaris en Éthiopie. – Des moments d'une rare douceur.
La nouvelle route est lisse et très agréable, les discussions vont bon train dans le bus, le paysage est beau et nous sommes en quelques heures à Shashämäne. Des étudiants, pendant le voyage, me racontent les tensions entre les associations d’étudiants et l’administration sur la gestion du campus, ils ont l’air déçus mais pas découragés. Sous le soleil de midi je saute du bus au «jamaïcan sïfïr», le quartier jamaïcain, et je vais toquer à la porte de Sister Mebrat, qui, toujours aussi généreuse, me donne à boire, me nourrit et m’offre un peu d’ombre. Je vais saluer les uns et les autres, Brother Trika, Bro Joseph et la famille Lee. Je file après à l’hôtel du check-point pour trouver une chambre où déposer mes affaires et me laver un peu. C’est plutôt très sale et c’est la guerre |
avec les cafards pour qu’ils me laissent prendre ma douche toute seule. Le lendemain les choses sérieuses vont pouvoir commencer. Je suis ici pour rassembler des informations sur l’histoire des retours de Rastafaris en Éthiopie, donc pour amorcer un dialogue avec mes frères et sœurs de différentes origines qui arrivent en Éthiopie portés par la certitude que la Terre Sainte commence ici. J’aurais à justifier ma présence, car pour certains je représente plus que ce que je ne suis, mais cela ne me pose pas de problème, je sais pourquoi je suis ici. Le 14 avril je rencontre Bro Benjamin qui a tenté une approche en me demandant si j’étais « romaine », avec tout ce que cela recouvre de babylonien, malgré cela nous parlons un moment et il me raconte un peu son parcours. Grâce à Bro Trika je trouve une petite place pour quitter cet hôtel un peu pourri, et je m’installe chez Sister Sharon, qui est là depuis 1991. Elle a une grande maison, et elle héberge deux amies qui viennent de Birmingham. Ce sont des moments d’une rare douceur, je me sens privilégiée de partager la vie de ces sœurs : deux d’entre elles ont respectivement 7 et 8 enfants mais n’ont pas encore 40 ans. Je me réhabitue peu à peu à cet anglais cassé, au rythme populaire marqué par le « patois » jamaïcain, qui me fera penser que décidément, ce n’est pas à Shashämäne que j’apprendrais à parler amharique…
Fassika à Shashämäne. – Il y a peu d’injera par ici. – La source de Wondo Genet. – Sister Federation Irie et les sœurs de Birmingham. – Une véritable maison éthiopienne et le bunna. – Visite du quartier de Malka Odia avec Ras Daniel. – La communauté de Prince Emmanuel, de Bull Bay (Jamaïque) à Bobo Camp.
Le 15 avril c’est Fassika, la grande fête de Pâques, que cette fois-ci je ne fêterai pas à l’éthiopienne, même si Sister Sharon en profite pour tuer une chèvre. Le soir, Ras Freedom a ouvert la porte de sa maison pour une fête, où je découvre qu’il y a plus d’éthiopiens que de Rastas, et, finalement, c’est très bien comme ça. Le lendemain je continue mes visites, je vais toquer aux portes des uns et des autres, pour présenter mes respects et mon projet de recherche. Je passe également aux Headquarters des Douze Tribus pour goûter la cuisine de Bro Pinny : il y a peu d’injera par ici ! ........ LIRE LA SUITE DU RECIT DE VOYAGE DE GIULIA BONACCI - PAGE 2 |
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